Violation du secret des délibérations par un juré d’assises

Jurisprudence

Une dérogation à l’obligation de conserver le secret des délibérations ne saurait être admise, même à l’occasion de poursuites pour violation du secret du délibéré, sans qu’il soit porté atteinte tant à l’indépendance des juges, professionnels comme non professionnels, qu’à l’autorité de leurs décisions.

Crim. 25 mai 2016, FS-P+B+I, n° 15-84.099

En application de l’article 304 du code de procédure pénale, tout juré de cour d’assises prête serment de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de ses fonctions. Ce secret, général et absolu, « a pour but d’assurer l’indépendance et la dignité des juges en même temps que l’autorité morale de leurs décisions » (Crim. 25 janv. 1988, Bull. crim. n° 25). L’article 226-13 du code pénal érige quant à lui en délit le fait de révéler « une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ». Pour la première fois, et par un arrêt très largement diffusé, la chambre criminelle confirme l’arrêt de condamnation d’un juré d’assises pour violation d’un tel secret.

Les faits sont bien connus pour avoir procédé eux-mêmes d’une médiatisation (V. Dalloz actualité, 18 oct. 2013, obs. M. Babonneau ). Un juré d’une cour d’assises ayant condamné en appel un individu du chef de viol sur mineur avait décidé de s’exprimer dans un quotidien national, lequel avait publié un article intitulé « la présidente essayait d’orienter notre vote ». Cet ancien juré avait dans ce cadre fait de nombreuses révélations tendant notamment à mettre en cause le comportement de la présidente de la juridiction criminelle, qui aurait selon lui incité les jurés indécis à se prononcer dans le sens de la culpabilité de l’accusé et insisté pour que la peine d’emprisonnement ferme prononcée soit au moins égale à celle fixée en première instance. Poursuivi pour révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire, il est déclaré coupable par le tribunal correctionnel comme par la cour d’appel de Paris, qui confirme la peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis.

La cour d’appel rejette la demande de complément d’information, formulée en vue d’établir le bien-fondé des anomalies du délibéré révélées par le prévenu, se bornant à faire état du « caractère illégal de la preuve recherchée », celle-ci aboutissant à une violation du serment des autres participants aux délibérations. Sur le fond, face à la défense qui soulignait la volonté du juré de rapporter de graves dysfonctionnements, la cour d’appel juge que ce dernier n’était pas fondé à dénoncer une violation supposée des règles de procédure et à s’ériger ainsi en « juge du délibéré ». Elle considère encore que cette transgression, « en regard de son expression dans la presse, est d’abord et surtout une trahison des jurés qui ont prêté le même serment que le sien et des magistrats qui l’ont recueilli ». Et de se référer à la réponse apportée par la chambre criminelle en 2013 à la question prioritaire de constitutionnalité qui avait été soulevée devant les juges de première instance, relative à l’impossibilité d’une « objection de conscience » des jurés. La Cour de cassation en avait écarté le caractère sérieux, affirmant que « l’obligation de conserver le secret des délibérations, édictée par la loi française dans le but de garantir l’indépendance des juges et l’autorité de leurs décisions, applicable, devant toutes les juridictions, aussi bien aux magistrats professionnels qu’aux citoyens prêtant leur concours à la justice, ne contrevient pas à la liberté de conscience » (Crim. 17 avr. 2013, n° 13-90.004, Dalloz jurisprudence).

Alors que nombre d’arguments juridiques avaient été développés en première instance, tels que l’ordre de la loi, l’état de nécessité, ou encore la méconnaissance des articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (V. Dalloz actualité, 6 déc. 2013, obs. F. Winckelmuller ), le moyen unique du pourvoi reposait sur une double critique. Sa seconde branche, péremptoirement écartée par la chambre criminelle, reprochait à la cour d’appel un manque d’impartialité ressortant des termes de sa motivation. Cette dernière avait en effet prêté un comportement antidéontologique aux avocats du prévenu qui avaient défendu la personne condamnée par la cour d’assises, en leur reprochant notamment d’instrumentaliser la naïveté de cet ancien juré. La première branche du moyen faisait grief à la cour d’appel non pas directement d’avoir condamné le prévenu, mais de lui avoir refusé « la possibilité d’établir le bien-fondé de ses moyens de défense ». Il était soutenu, le serment des jurés portant en premier lieu sur l’impartialité nécessaire de leur jugement, que ne saurait être réprimée « une divulgation précisément fondée sur le sentiment d’une atteinte aux exigences fondamentales du serment ».

L’objet de la critique portée par le pourvoi – le refus d’ordonner un supplément d’information – peut expliquer la nature de la réponse apportée par la chambre criminelle, qui présente une dimension procédurale. Approuvant la déclaration de la cour d’appel sur l’illégalité du supplément d’information sollicité, la Cour de cassation énonce qu’« une dérogation à l’obligation de conserver le secret des délibérations, édictée par l’article 304 du code de procédure pénale, ne saurait être admise, même à l’occasion de poursuites pour violation du secret du délibéré, sans qu’il soit porté atteinte tant à l’indépendance des juges, professionnels comme non professionnels, qu’à l’autorité de leurs décisions ». Ce faisant, la chambre criminelle proclame le caractère absolu du secret du délibéré en matière criminelle, considérant explicitement qu’aucune mesure d’investigation ne saurait avoir pour objet de recueillir auprès des jurés des informations sur le cours des délibérations. Certes, en s’abstenant d’exprimer une solution portant sur la réunion des éléments constitutifs du délit, la Chambre criminelle n’affirme pas directement que toute révélation portant sur la phase des délibérations est susceptible de caractériser une infraction, peu important l’objet et le motif de la révélation. Mais c’est ce qu’elle laisse entendre.

Cette décision constitue assurément une nouvelle illustration de l’attachement des hauts magistrats au principe du secret du délibéré. Ce dernier a été expressément reconnu comme une composante du principe de l’indépendance des magistrats dans une récente décision du Conseil constitutionnel relative aux mesures de perquisition (V. Cons. const., 4 déc. 2015, n° 2015-506 QPC, Dalloz actualité, 8 déc. 2015, obs. D. Goetz ). Faisant de nouveau référence à ce principe, la chambre criminelle avait jugé dans le volet conventionnel de cette même affaire, au visa de l’article 6, § 1, du code de procédure pénale, que « la saisie par un juge d’instruction, dans le cadre des pouvoirs qu’il tient de l’article 81 du code de procédure pénale, de documents couverts par ce secret, ne saurait être justifiée qu’à la condition qu’elle constitue une mesure nécessaire à l’établissement de la preuve d’une infraction pénale » (Crim. 22 mars 2016, n° 15-83.207, Dalloz actualité, 245 mars 2016, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2016. 261 ). Les termes de ce dernier arrêt, qui expriment une possibilité encadrée d’atteinte au secret du délibéré par voie de saisie, s’opposent à ceux, beaucoup plus radicaux, de l’arrêt commenté.

Site de la Cour de cassation | par Cloé Fonteixle 13 juin 2016

Source : www.dalloz-actualite.fr