Rédigé par Squire Patton Boggs le 19 Juin 2015
CJUE, 21 mai 2015 , Jaouad El Majdoub / CarsOnTheWeb.Deutschland GmbH, aff C-322/14
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a été saisie d’une question préjudicielle par une juridiction allemande dans le cadre d’un litige opposant un concessionnaire automobile et une entreprise. La cour a dû interpréter l’article 23 du règlement Bruxelles I qui régit les conditions de validité d’une convention attributive de juridiction.
Faits
Le litige est né à l’occasion de la vente par la société d’un véhicule automobile sur son site Internet. Cette dernière ayant annulé la vente, le concessionnaire a introduit un recours devant le Landgericht Krefeld (juridiction allemande) en vue de forcer le transfert de propriété du véhicule. La défenderesse soulevait l’incompétence dudit tribunal, au motif que l’article 7 des conditions générales de vente de la transaction réalisée sur internet contenait une convention attributive de juridiction en faveur d’un tribunal situé à Louvain (Belgique). Mais le concessionnaire estimait que la convention attributive de juridiction ne respectait pas les conditions de l’article 23 du règlement Bruxelles I.
Règlement Bruxelles I
Le règlement Bruxelles I (Règlement CE n°44/2001) prévoit une compétence de principe du domicile du défendeur (considérant 11 et article 2) ainsi que des compétences spéciales (articles 5 à 7). Toutefois, les parties peuvent convenir de la compétence d’un tribunal ou de tribunaux de leur choix par convention, cette convention devant être conclue (i) par écrit, ou (ii) verbalement avec une confirmation écrite (article 23-1-a), ou (iii) sous une forme conforme aux habitues établies entre les parties (article 23-1-b) ou, (iv) sous une forme conforme dans le commerce international, à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance (article 23-1-c). Etant précisé que « toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention » doit être regardée comme « revêtant une forme écrite » (article 23-2).
La technique d’acceptation par « clic » des conditions générales de vente
Le concessionnaire estimait que la convention litigieuse ne revêtait pas une forme écrite au sens de l’article 23-1-a du fait qu’il fallait cliquer sur un hyperlien (« cliquer ici pour ouvrir les conditions générales de livraison et de paiement dans une nouvelle fenêtre ») pour accéder aux conditions générales de vente (technique d’acceptation par « clic » dite du « clik-wrapping », ce qui serait contraire à l’article 23-2 qui implique au contraire une ouverture automatique. La juridiction de renvoi interrogeait donc la CJUE sur le fait de savoir si la technique du click-wrapping satisfaisait aux exigences en matière de transmission par voie électronique au sens de l’article 23-2 du règlement Bruxelles I.
En substance, la CJUE répond par l’affirmative, en précisant au préalable que l’article 23 du règlement Bruxelles I doit être d’interprétation stricte et qu’il y a lieu d’appliquer les principes dégagés sous la convention de Bruxelles (convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968) pour des dispositions équivalentes, dans la mesure où le règlement Bruxelles I remplace ladite convention.
En premier lieu, elle rappelle que la réalité du consentement des intéressés est l’un des objectifs de l’article 23-1 du règlement Bruxelles I qui doit être vérifié par le juge. En l’espèce, en cochant la case correspondance sur le site Internet du vendeur, l’acheteur a accepté de manière expresse les conditions générales en cause.
En second lieu, elle fait une interprétation littérale de l’article 23-2 du règlement Bruxelles I qui n’envisage que la « possibilité » de consigner durablement la convention, indépendamment de la question de savoir si le texte des conditions générales a été effectivement consigné par l’acheteur avant ou après qu’il a coché la case d’acceptation des conditions. Elle relève qu’il n’est pas contesté que la technique d’acceptation par « clic » rend possible l’impression et la sauvegarde du texte des conditions générales en question avant la conclusion du contrat. Dès lors, la circonstance que la page Internet contenant ces conditions ne s’ouvre pas automatiquement lors de l’enregistrement sur le site Internet et lors de chaque opération d’achat ne saurait remettre en cause la validité de la convention attributive de juridiction. Pour conclure, l’article 23-2 du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens que « la technique d’acceptation par « clic » des conditions générales d’un contrat de vente, tel que celui en cause au principal, conclu par voie électronique, qui contiennent une convention attributive de juridiction, constitue une transmission par voie électronique permettant de consigner durablement cette convention, au sens de cette disposition, lorsque cette technique rend possible l’impression et la sauvegarde du texte de celles-ci avant la conclusion du contrat. » A la lumière de cette interprétation, le juge national (à savoir, le Landgericht Krefeld), qui reste maître du litige au principal, sera donc très certainement amené à renvoyer l’affaire devant le tribunal belge désigné dans la convention.
Distinction avec la protection des consommateurs
Il est intéressant de relever, comme l’a fait la CJUE, la différence avec la solution dégagée pour les contrats à distance en matière de consommation. Comme nous l’avions présenté dans un article précédent, la CJUE avait en effet jugé qu’une pratique commerciale qui consiste à ne rendre des informations obligatoires accessibles que par un lien sur un site Internet ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 5-1 de la directive 97/7/CE concernant la protection des consommateurs en vertu duquel le consommateur doit « recevoir » certaines informations « par écrit ou sur un autre support durable »[1]. En effet dans ce cas, les informations ne sont ni « fournies » par l’entreprise concernée, ni « reçues » par le consommateur, et le site Internet ne peut être considéré comme un « support durable » (notamment du fait de la possibilité pour le vendeur de modifier unilatéralement son contenu).
La CJUE précise dans l’affaire qui nous intéresse que cette interprétation ne saurait être transposée aux faits de l’espèce dès lors que le libellé de l’article 5-1 de la directive 97/7 (qui exige explicitement une transmission des informations aux consommateurs sur support durable) et l’objectif de cette disposition (la protection des consommateurs) diffèrent de ceux de l’article 23-2 du règlement Bruxelles I.
Contact : stephanie.faber@squirepb.com