Un train de retard

Lu pour vous

Par Amadou KANE

Désiré et Adhémar ont été gâtés à Noël : leurs parents leur ont offert un saut en parachute…

Profitant jusqu’à la dernière minute de leur séjour à la montagne, ils décident tout de même de revenir à Paris pour faire le grand saut. Le rendez-vous est fixé pour le vendredi à 14 heures.

Le jour J, à 8 heures, ils prennent donc le train à la gare de Chambéry.

Après une heure de trajet, le train est secoué puis arrêté. Les passagers apprennent qu’une personne s’est suicidée en traversant les voies. Le train ne repart que … 3 heures plus tard ! Le trajet Chambéry-Paris aura donc duré 7 heures au lieu des 4 heures initialement prévues.

Les deux cousins souhaitent engager la responsabilité de la SCNF pour obtenir réparation du dommage qu’ils ont subi puisqu’ils n’ont pu effectuer leur saut en parachute.

Qu’en pensez-vous ?


Désiré et Adhémar avaient donc acheté des billets de train pour se rendre de Chambéry à Paris pour profiter de leur saut en parachute. Le train a eu un retard de 3 heures. Les deux amis n’ont pu se rendre à l’heure à leur rendez-vous. Ce dernier n’étant pas remboursable, il souhaite obtenir réparation.

Les voyageurs et la SNCF sont liés contractuellement. Si responsabilité de la SCNF il y a, elle sera recherchée sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Rappelons que l’article 1147 du Code civil pose le principe selon lequel : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de son obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il y ait une mauvaise foi de sa part ».

Il convient donc de rechercher si les conditions de mise en jeu de la responsabilité sont réunies.

Il faut démontrer une faute – laquelle en matière de responsabilité contractuelle est assimilée à une inexécution partielle ou totale des obligations présentes au contrat -, un dommage et un lien de causalité les reliant.

  • S’agissant de l’inexécution : la SNCF a l’obligation d’acheminer les voyageurs à une destination déterminée, dans un temps déterminé. Le cahier des charges de la SNCF fait peser sur cette dernière une obligation de ponctualité, qui est une obligation de résultat. Le simple retard suffit donc à établir l’inexécution.
    En l’espèce, il est indiqué que le train de Désiré et Adhémar avait 3 heures de retard. L’inexécution est donc établie.
  • S’agissant du préjudice subi : pour pouvoir engager la responsabilité contractuelle de la SNCF, il faut démontrer que l’inexécution du contrat a entraîné un préjudice.

En l’espèce, Désiré et Adhémar n’ont pas pu participer au saut en parachute qu’ils avaient réservé et ne peuvent pas être remboursés du coût de cette activité. Il s’agit d’un préjudice matériel auquel pourrait s’ajouter un préjudice moral. Les préjudices sont certains et légitimes et, par conséquent, indemnisables.

Néanmoins, le préjudice réparable en vertu de l’article 1150 du Code civil se limite au dommage prévisible.

Il faut donc se demander s’il était prévisible pour la SNCF que Désiré et Adhémar avaient prévu une activité pour laquelle aucun remboursement n’était possible.

La Cour de cassation a pu rappeler avec fermeté cette exigence de prévisibilité du dommage, qui conditionne l’octroi de dommages-intérêts. Dans une affaire où était précisément en cause la SNCF, la première chambre civile a pu énoncer que les juges du fond devaient préciser en quoi « la SNCF pouvait prévoir, lors de la conclusion du contrat, que le terme du voyage en train n’était pas la destination finale » des voyageurs (Civ.1re, 28 avr. 2011).

Dès lors, même si cette qualification est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, il semble peu probable que le dommage, tenant au fait qu’ils n’ont pu exercer cette activité, puisse être considéré comme prévisible pour la SNCF.

  • S’agissant du lien de causalité entre le retard du train et l’impossibilité d’effectuer le saut en parachute, il semble que cela ne pose pas de difficulté.
  • Dans l’hypothèse où le préjudice serait considéré comme prévisible et réparable (ce qui est réellement peu probable), il conviendrait de s’interroger sur les possibilités pour la SNCF de s’exonérer de la responsabilité en démontrant que l’inexécution est due à un cas de force majeure (C. civ., art. 1147). La jurisprudence est connue pour sa sévérité à l’encontre de la SNCF.

Dans un arrêt du 14 avril 2006 (n° 02-11.168), la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière a eu l’occasion de préciser que la force majeure est exonératoire dès lors que l’événement est imprévisible au moment de la conclusion du contrat et irrésistible au moment de son exécution. Il convient d’y ajouter la condition d’extériorité.

En l’espèce, le retard du train de Désiré et Adhémar est la conséquence d’un suicide ayant eu lieu sur les voies du train.

L’extériorité ne pose pas de difficulté.

Il faut donc se demander si, au moment de l’achat du billet de train, la SNCF pouvait prévoir qu’une personne allait mettre fin à ses jours en sautant sur la voie. Si l’on peut considérer que les problèmes techniques pouvant survenir sur les voies, par exemple, sont prévisibles au moment de la conclusion du contrat, l’attitude, semble-t-elle désespérée d’un individu ne paraît pas l’être.

Par ailleurs, il faut que cet événement soit irrésistible lors de l’exécution, ce qui semble aller de soi (étant difficile d’anticiper ou d’éviter une personne sur les voies lorsque le train est lancé à pleine vitesse).

Les conditions caractérisant la force majeure semblent donc réunies.

Une telle solution avait d’ailleurs été retenue par la Cour de cassation dans l’un des arrêts d’assemblée plénière de 2006 (n° 04-18.902). Quel que soit le régime de responsabilité, les conditions de la force majeure sont les mêmes. Dès lors, bien que l’arrêt précité ait été rendu en responsabilité délictuelle, on peut penser qu’une même solution puisse être retenue dans une hypothèse contractuelle. Ainsi, elle avait considéré que « la chute de [la victime] sur la voie ne pouvait s’expliquer que par l’action volontaire de la victime, que le comportement de celle-ci n’était pas prévisible dans la mesure où aucun des préposés de la RATP ne pouvait deviner sa volonté de se précipiter contre la rame, qu’il n’avait été constaté aucun manquement aux règles de sécurité imposées à l’exploitant du réseau et que celui-ci ne saurait se voir reprocher de ne pas prendre toutes mesures rendant impossible le passage à l’acte de personnes ayant la volonté de produire le dommage auquel elles s’exposent volontairement, la cour d’appel a décidé à bon droit que la faute commise par la victime exonérait la RATP de toute responsabilité ».

Désiré et Adhémar ne pourront donc pas être indemnisés pour le retard du train et l’annulation de leur saut en parachute.

Références

  • Code civil
    Article 1147 « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    Article 1150 « Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
  • Civ. 1re, 28 avr. 2011, n°10-15.056, D. 2011. 1725, note Bacache.
  • Ass. plén. 14 avr. 2006, n° 02-11.168, D. 2006. 1577, note Jourdain.
  • Ass. plén. 14 avr. 2006 n° 04-18.902 ; D. 2006. 1566, note Noguéro ; RTD civ. 2006. 775, note Jourdain.