Tout savoir (ou presque) sur l’assouplissement quantitatif de la BCE

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Mario Draghi devrait jeudi annoncer un plan de rachat de dette souveraine européenne. Voici quelques réponses aux questions qui se posent avant la première réunion de la BCE en 2015.

La BCE va annoncer un assouplissement quantitatif jeudi (Crédits : © Kai Pfaffenbach / Reuters)

La BCE va annoncer un assouplissement quantitatif jeudi (Crédits : © Kai Pfaffenbach / Reuters)

Mario Draghi voulait préserver la surprise, mais c’était sans compter avec François Hollande. Lundi, lors de ses vœux devant les « forces vives de la nation », le président français a annoncé que la BCE allait prendre, ce jeudi 22 janvier, des mesures d’assouplissement quantitatif (en anglais quantitative easing ou QE). Une brèche dans les traités européens qui garantissent l’indépendance de la banque centrale, mais, en réalité, les observateurs savaient déjà que cette première réunion de l’année allait marquer un tournant dans la politique monétaire de la BCE. Un tournant important, mais sera-t-il déterminant ? Voici quelques réponses aux grandes questions qui se posent avant la réunion.

Qu’est-ce que le QE ?

L’assouplissement quantitatif est le nom moderne de la « planche à billets. » Il a été utilisé depuis 2008 par de nombreuses banques centrales (Fed, Banque d’Angleterre, Banque du Japon) lorsque l’arme des taux s’est épuisée, autrement dit lorsque, malgré des taux proche de zéro, les perspectives d’inflation et de croissance ne rebondissaient pas. Il s’agit de racheter sur le marché des titres, notamment, mais pas seulement des titres d’Etat. En ce sens, depuis le mois d’octobre, le « QE à l’européenne » a commencé avec le rachat de crédits titrisés (ABS) et d’obligations sécurisées (« covered bonds »). Il avait même commencé au printemps lorsque les rachats de titres d’Etat effectués en 2010 et 2011 (programme « SMP ») avait cessé d’être « stérilisés », autrement dit compensés par des ventes de titres de la BCE. Ce qui devrait être annoncé jeudi sera néanmoins plus ambitieux, avec des rachats massifs d’obligations d’Etat de la zone euro.

Pourquoi la BCE saute-t-elle le pas ?

Depuis octobre 2013, l’inflation est inférieure à 1 % en zone euro. Cette inflation faible concerne aussi les prix hors énergie. Or, une inflation faible prolongée pose un problème à l’économie en faisant pression sur les marges. Elle réduit naturellement la capacité d’investissement des entreprises. A terme, le danger est que, pour sauvegarder leurs marges et maintenir leurs parts de marché, les entreprises ne décident de licencier ou de réduire les salaires. La demande intérieure se réduit alors et les prix baissent, entraînant une volonté d’attente des agents économiques pour leurs dépenses (« ce sera moins cher plus tard »). Ce serait le début d’un cercle déflationniste.

Pour éviter ce scénario, la BCE veut faire remonter les anticipations d’inflation. Les mesures qu’elle a prises jusqu’ici n’ont pas fait preuve de leur efficacité. Les taux ont été ramenés à 0,05 %, un taux négatif de 0,20 % est imposé à la facilité de dépôt de la BCE, un crédit à long terme de 4 ans, le TLTRO, est proposé aux banques. Mais l’inflation est passée en décembre en territoire négatif. Si cette baisse s’explique par les prix de l’énergie, elle a un impact sur les anticipations d’inflation qui, désormais, ont décroché assez largement à 5 ans de l’objectif de 2 % de la BCE. Il faut donc faire plus. Et la BCE n’a guère d’autres choix que de recourir à un QE de grande ampleur incluant les titres d’Etat. D’autant que ce QE est très attendu et déjà intégré dans les cours de beaucoup de dette souveraine. Le retarder serait prendre le risque d’une sévère correction sur les marchés.

Est-ce légal ?

La BCE peut racheter de la dette publique sur le marché secondaire. Ce qui est strictement interdit par les traités, c’est le financement direct des Etats, dont le rachat de titres sur le marché primaire. Elle a déjà pratiqué ces rachats de dettes publiques en 2010 et 2011 pour tenter de stopper la hausse des taux. Néanmoins, ces rachats, s’ils deviennent trop importants, peuvent devenir illégaux. Dans sa recommandation sur l’OMT parue la semaine dernière, l’avocat général de la Cour de Justice de l’UE a précisé que la BCE devait faire en sorte que le prix de la dette demeure un prix de marché. La BCE ne peut donc pas en théorie déterminer par ces rachats les taux souverains. Et c’est là que le bât blesse, car la seule rumeur d’un QE a déjà pesé sur le marché. En Allemagne, on voit donc dans le QE une incitation à réduire les « réformes » par une baisse artificielle des taux. Ces opérations seront sans doute contestées outre-Rhin devant la Cour de Karlsruhe et peut-être devant la CJUE…

Quelle forme prendra ce QE ?

On l’ignore encore et ce sera une des informations les plus surveillées de la conférence de presse de Mario Draghi jeudi. Trois questions restent en suspens : la taille de ces rachats, la nature des titres rachetés et la mutualisation de la dette.

Quels montants seront rachetés ?

Les dernières rumeurs évoquent un montant racheté de 500 milliards d’euros environ, soit bien moins que les 850 milliards d’euros nécessaires pour atteindre l’objectif de bilan affiché par Mario Draghi. La BCE devrait donc annoncé un montant assez modeste. Elle compte encore sur le TLTRO et les rachats de titres déjà annoncés pour compléter. Le tout sera de savoir si ce montant sera « ajustable » en fonction des circonstances, si, donc, il pourra être augmenté en cas de besoin. Selon Bloomberg, cependant, le montant des rachats pourrait atteindre 50 milliards d’euros par mois « jusqu’à fin 2016 », soit un total de 1.100 milliards d’euros.

Quels seront les titres rachetés ?

On l’ignore encore. Il existe, apparemment plusieurs options. La première consiste à ne racheter que des titres d’Etat notés AAA par une des quatre agences reconnus par la BCE. Ceci limite les risques, mais aussi l’intérêt de l’exercice puisque ces pays sont aussi les moins concernés par le risque de déflation. Une deuxième option, la plus probable, consisterait à racheter les titres notés en catégorie « d’investissement », ce qui exclurait les dettes grecques et chypriotes. Enfin, la BCE peut décider de racheter tous les titres de la zone euro. Cette dernière option est peu probable compte tenu du calendrier électoral grec, car ce serait perçu comme un soutien indirect à la proposition de restructuration de la dette grecque de Syriza. La BCE pourrait aussi racheter des titres quasi-étatiques comme ceux des agences d’Etat, autrement dit des organismes garantis par les Etats comme la banque KfW en Allemagne ou la Cades en France. Et si elle veut frapper fort, la BCE pourrait annoncer des dettes d’entreprises privées.

Y aura-t-il une mutualisation des risques ?

Tout achat de la BCE implique une mutualisation des risques dans la mesure du fonds de réserve de la BCE, chargé de couvrir les pertes de l’organisme (article 33.2 du Traité de fonctionnement de l’UE). La mutualisation, jusqu’à épuisement de ce fonds (qui était à 7,5 milliards d’euros en 2013), se fait donc au sein même de la BCE. Une fois ce fonds épuisé, l’affaire devient plus complexe. En théorie, les pertes sont épongées par les banques centrales nationales à hauteur de leurs parts dans le capital de la BCE. Mais le Conseil des gouverneurs peut en décider autrement. Or, selon le Spiegel de samedi, la BCE a décidé que les banques centrales nationales achèteront uniquement les dettes souveraines de leur propre Etat et les « conserveront. » Ceci ressemble à une volonté de réduire le partage des risques au strict minimum et de rendre chaque gouvernement responsable du QE « national. »

Est-ce une monétisation de la dette publique ?

Dans la mesure où la BCE créera de l’argent nouveau pour racheter de la dette souveraine, oui. Mais c’est une monétisation assez différente de celles qui ont mené aux hyperinflations des années 1920 ou 1940. Entre 1918 et 1923, par exemple, la Reichsbank rachetait automatiquement la dette émise par le gouvernement allemand et l’annulait. L’argent ainsi créé n’avait aucune contrepartie et venait directement alimenter les liquidités en circulation. Ce n’est pas le cas du QE : la dette publique rachetée uniquement sur le marché secondaire devra être remboursée par les Etats. En cas de besoin, la BCE pourra revendre (mais cela influera sur le marché) les titres acquis, ce qui réduira la masse monétaire. Il est donc assez difficile d’évaluer a priori le montant exact de la création monétaire réalisée in fine par cette opération. Il s’agit en tout cas d’une monétisation « temporaire » qui sera, du reste, tempérée par les intermédiaires financiers qui, à la différence de ce qui s’est passé dans les années 1920, ne redistribueront pas immédiatement et intégralement ces sommes dans l’économie réelle.

Pourquoi l’Allemagne a-t-elle cédé ?

La Bundesbank s’est longtemps – et jusqu’à récemment – opposé au QE, en estimant qu’il était inefficace et trop risqué. Néanmoins, la Buba – pas davantage que le gouvernement allemand – n’a les moyens de s’opposer au QE. Son président, Jens Weidmann, ne dispose que d’une voix au sein du Conseil des gouverneurs. Il est largement minoritaire et s’est déjà opposé, en vain, à la baisse des taux et aux rachats de titres annoncés en septembre.

Mario Draghi ne pouvait cependant pas ne pas prendre en compte l’opposition de l’opinion publique en Allemagne, pas davantage que le risque d’une censure de la Cours constitutionnelle de Karlsruhe qui dans le cas de l’OMT – le programme de rachat de dettes souveraines annoncé en septembre 2012 mais jamais mis en application- a prévenu qu’elle pourrait interdire son application en Allemagne. D’où cette concession faite sur le partage du risque. Selon la presse allemande, cependant, l’opposition de la Buba ne serait pas levée. Ce qui n’empêchera pas le QE de voir le jour.

Enfin, compte tenu des attentes sur les marchés, où les taux de la zone euro ont beaucoup baissé, une décision de reporter sine die le QE provoquerait un cataclysme boursier. L’Allemagne, dont le taux a beaucoup baissé dans la perspective du QE, serait une des premières victimes de ce contrecoup. D’autres pays se retrouveraient en difficulté avec la remontée des taux et pourrait faire appel au Mécanisme européen de stabilité (MES) : la zone euro serait menacée de récession. La Buba ne peut se permettre un tel scénario. Son opposition – comme celle du gouvernement allemand – est de pure forme : elle n’existe que parce qu’elle n’est pas bloquante.

Le QE sera-t-il efficace ?

Ce sera évidemment la grande question de ces prochains mois. Dans son programme dit de Jackson Hole, le 22 août, Mario Draghi avait jugé que le QE ne serait efficace qu’à condition d’être accompagné d’une relance budgétaire et de « réformes structurelles. » La relance a été enterrée, les « réformes » sont assez limitées, mais la BCE va lancer le QE. Abandonnée des Etats, la BCE doit donc agir seule. Au risque de rendre ce QE inefficace.

Certes, la création monétaire devrait peser sur l’euro et favoriser un redressement des anticipations d’inflation. Mais le cœur du problème européen n’est pas traité directement par le QE. Les entreprises manquent de raisons d’investir et la demande de crédit est faible. Les taux sont déjà faibles et cela ne change rien. Le QE ne traite pas cet aspect central du nœud gordien européen. D’où le risque que l’argent créé par le QE n’aille pas dans l’économie réelle, mais soit plutôt utilisé par les banques pour alimenter des bulles spéculatives en Europe ou ailleurs. L’impact du QE ne sera pas nul, mais il n’est pas certain qu’il soit suffisant pour redonner à l’inflation et à la croissance la dynamique suffisante.

L’impact direct du QE se fera sentir sur les taux souverains, même si le marché a sans doute déjà pris en compte une grande partie de ces achats. Mais, cette baisse des taux, si elle va permettre de réduire une partie des coûts de la dette publique, ne permettra pas aux Etats d’investir davantage puisque le pacte de stabilité et les règles d’or sont désormais en vigueur. Il faudra donc compter sur les acteurs financiers pour transmettre à l’économie réelle les effets de cette opération. Un pari très incertain…