Succession et loi applicable à la détermination de la propriété d’un bien

Jurisprudence

La loi étrangère du lieu de situation de l’immeuble est applicable pour déterminer la propriété de ce bien.

Civ 1re, 25 mai 2016, FS-P+B, n° 15-16.935

Une personne engage une action en partage des biens dépendant des successions de ses parents, de nationalité française et ayant eu leur dernière résidence en France.

Dans ce cadre, elle s’oppose à ce que la masse partageable comprenne un immeuble situé en Espagne et qui avait été acquis par ses parents de façon indivise. Elle soutient en effet qu’elle en est devenue propriétaire par l’effet de la loi espagnole concernant la prescription acquisitive, l’article 10 du code civil espagnol disposant que la propriété portant sur des biens immeubles est régie par la loi du lieu où ils sont situés.

Sa revendication de propriété est toutefois écartée par les juges du fond au motif que, par l’effet de la règle de conflit de lois relative aux successions immobilières désignant la loi espagnole applicable au bien situé en Espagne et du renvoi opéré par cette loi à la loi nationale du défunt, la loi française était applicable. Dès lors, selon ces mêmes juges du fond, la propriété du bien litigieux ne pouvait pas être revendiquée par l’effet de la prescription acquisitive, d’une durée de quinze ans, prévue en droit espagnol.

La décision d’appel est toutefois cassée par l’arrêt de la première chambre civile du 25 mai 2016, qui retient que la loi espagnole du lieu de situation de l’immeuble était applicable pour déterminer la propriété de ce bien.

Cette cassation s’explique aisément, les juges du fond ayant à l’évidence effectué une confusion entre la question de la détermination de la loi applicable à la succession et celle du statut réel, selon l’expression consacrée en droit international privé.

Il est vrai que la position retenue par les juges du fond apparait être conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation si l’on s’intéresse uniquement à la question de la loi applicable à la succession, du moins dans l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (règlement qui s’applique aux successions des personnes décédées depuis le 17 août 2015).

En effet, à l’occasion de plusieurs affaires ayant des liens avec la France et l’Espagne (V. Civ. 1re, 21 mars 2000, n° 98-15.650, D. 2000. 539 , note F. Boulanger  ; Rev. crit. DIP 2000. 399, note B. Ancel  ; 11 févr. 2009, n° 06-12.140, Dalloz actualité, 19 févr. 2009, obs. V. Egea  ; D. 2009. 1658, note G. Lardeux  ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke  ; AJ fam. 2009. 356, obs. A. Boiché  ; Rev. crit. DIP 2009. 512, note B. Ancel  ; JDI 2009. 507, note H. Péroz ; Dr. fam. 2009. Comm. 62, note E. Fongaro et Gosselin-Gorand ; JCP N 2009. 1196, note M.-E. Ancel ; 23 juin 2010, n° 09-11.901, Dalloz actualité, 1er juill. 2010, obs. I. Gallmeister  ; D. 2010. 2955 , note L. d’Avout  ; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke  ; AJ fam. 2010. 401, obs. A. Boiché  ; Rev. crit. DIP 2011. 53, note B. Ancel ), la Cour de cassation a admis que la théorie du renvoi, au sens du droit international privé, peut s’appliquer en matière successorale. Concrètement, elle a admis que, si la loi étrangère du lieu de situation des immeubles, en principe applicable, ne se considère pas compétente et renvoie – c’est-à-dire donne compétence – à une autre loi, comme la loi nationale du défunt ou la loi du dernier domicile du défunt, il est possible d’appliquer cette autre loi. En d’autres termes, si une succession immobilière a, a priori, vocation à être régie par la loi espagnole car les immeubles sont situés en Espagne, il est néanmoins possible de faire application de la loi française si le de cujus est français, car la loi espagnole donne compétence, dans ce cas, à la loi nationale du défunt (C. civ. espagnol, art. 9, § 8). Et c’est précisément cette approche qui fut retenue par les juges du fond.

Toutefois, en l’espèce, deux difficultés étaient en réalité soumises à leur attention. La première était celle concernant la détermination de la loi applicable à la succession. La seconde concernait quant à elle la détermination de la propriété d’un bien situé en Espagne.

Or ces deux difficultés relèvent de deux qualifications distinctes et, en conséquence, de deux règles de conflit de lois différentes. Contrairement à ce que les juges du fond ont retenu, la détermination de cette propriété ne dépendait pas de la loi applicable à la succession mais de la loi du lieu de situation du bien, la lex rei sitae. Il est en effet acquis, en droit international privé, que les modes d’acquisition des droits réels sont définis par cette loi, notamment la prescription acquisitive (V. Y. Loussouarn, P. Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, 2013, n° 662 ; B. Audit et L. d’Avout, Droit international privé, Economica, 2013, n° 842). Dans l’affaire jugée le 25 mai 2016, la compétence de la loi espagnole s’imposait donc en tant que loi du lieu de situation de l’immeuble dont la propriété était discutée, peu important que, sous l’angle successoral, il pût y avoir un renvoi de la loi espagnole vers le droit français.

par François Mélinle 13 juin 2016