Requalification du contrat de travail intermittent

Jurisprudence

L’absence de mention des périodes travaillées et non travaillées dans le contrat de travail intermittent emporte sa requalification en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein.

Soc. 25 mai 2016, F-P+B, n° 15-12.332

Le contrat de travail intermittent a pour objet de pourvoir des emplois permanents qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et non travaillées (C. trav., L. 3123-31). Il doit ainsi permettre aux entreprises confrontées à une forte fluctuation d’activité sur l’année de répondre à des besoins spécifiques en main-d’œuvre. Ces contrats nécessitent la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif de travail prévoyant les emplois permanents visés (V. Soc. 27 juin 2007, n° 06-41.818, Bull. civ. V, n° 113 ; Soc., 27 juin 2007, n° 06-41.818, D. 2007. 2241, obs. C. Dechristé  ; Dr. soc. 2008. 496, obs. C. Roy-Loustaunau  ; RDT 2007. 735, obs. M. Véricel ). À défaut d’un tel accord, le contrat conclu est requalifié en contrat à temps complet (V. Soc. 8 juin 2011, n° 10-15.087, Bull. civ. V, n° 150 ; Dalloz actualité, 8 juill. 2011, obs. J. Siro  ; D. 2011. 1769  ; Dr. soc. 2011. 1205, note C. Roy-Loustaunau  ; 19 mars 2014, n° 13-10.759, Bull. civ. V, n° 81 ; Dalloz actualité, 3 avr. 2014, obs. M. Peyronnet  ; D. 2013. 1906  ; Dr. soc. 2013. 968, chron. G. Dumortier, P. Florès, A. Lallet, M. Vialettes et Y. Struillou  ; ibid. 2014. 11, chron. S. Tournaux ). Le contrat doit encore prévoir certaines mentions énumérées à l’article L. 3123-33 du code du travail (la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée annuelle minimale de travail du salarié, les périodes de travail et la répartition des heures de travail à l’intérieur de ces périodes).

En l’espèce, le travail intermittent consistait en une activité de moniteur de voile durant la saison estivale. Le salarié exerçait cependant une seconde activité en qualité de moniteur de ski auprès d’un autre employeur durant l’hiver. Après avoir invoqué des irrégularités dans son contrat, le salarié a pris acte de la rupture du contrat et saisi la juridiction prud’homale. Au soutien de sa demande, il invoquait notamment l’absence de mention des périodes travaillées et non travaillées dans le contrat de travail, puisque seules étaient énoncées les heures de travail. Selon les juges du fond, la prise d’acte devait produire les effets d’une démission dès lors que les dates et les jours de recours aux services du salarié importaient peu, l’essentiel résidant dans le fait que le salarié dispose d’un travail et d’un salaire minimal pour la période de l’année ou il n’enseignait pas le ski. Était encore souligné le fait que l’existence d’une activité de moniteur de ski montrait que le salarié ne se tenait pas à la disposition du club nautique durant la morte-saison, autrement dit, qu’il ne se tenait pas à la disposition de l’employeur durant toute l’année.

La Cour de cassation censure l’arrêt au visa de l’article L. 3123-31 du code du travail. Il résulte, selon elle, de ce texte qu’en l’absence de définition des périodes travaillées et non travaillées dans le contrat de travail, le contrat doit être requalifié en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein. À l’inverse de la solution des juges du fond, la chambre sociale érige donc la mention des périodes travaillées en condition substantielle dont l’absence impose une requalification en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein.

Cet arrêt apporte un éclairage nouveau sur les conséquences de l’absence de cette mention dans le contrat. Le principe posé jusqu’à présent était en effet que l’absence des exigences prévues à l’article L. 3123-33 du code du travail pouvait entraîner la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée à temps plein de droit commun (Soc. 20 févr. 2013, n° 11-24.531, Dalloz jurisprudence ; 27 janv. 2016, n° 14-11.612, Dalloz jurisprudence), mais que l’employeur pouvait faire échec à cette requalification en apportant la preuve que le salarié ne se tenait pas en permanence à disposition de l’employeur (Soc. 14 nov. 2000, n° 98-43.646, Dalloz jurisprudence ; 10 juill. 2002, n° 00-44.519, RJS 12/2002, n° 1451). Dans l’arrêt commenté, la chambre sociale n’offre pas une telle possibilité à l’employeur. La portée de cet arrêt se limite toutefois à une formalité particulière : celle de la mention des heures travaillées et non travaillées.

En effet, la décision de la chambre sociale n’est pas fondée sur l’article L. 3123-33 du code du travail, texte prévoyant la mention faisant ici défaut, mais sur l’article L. 3123-31 définissant l’objet du contrat intermittent. La Cour de cassation souligne de ce fait la spécificité de la mention des périodes travaillées et non travaillées : elle porte sur l’objet du contrat et en justifie donc l’existence.

À présent, en matière de contrat intermittent, il convient de distinguer deux types d’exigences. Les premières portent sur l’objet du contrat intermittent. Parmi celles-ci figurent les conditions relatives à l’accord collectif permettant la conclusion des contrats mais également la mention, dans le contrat, des périodes travaillées. L’absence de respect de ces exigences ouvre droit à la requalification sans que l’employeur puisse apporter la preuve contraire. Cette sanction rappelle alors la « requalification sanction » des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée lorsque le contrat n’est pas établi par écrit ou lorsqu’il ne prévoit pas le motif du recours au CDD (Soc. 21 mai 1996, n° 92-43.874 et 92-43.875, Bull. civ. V, n° 190 ; D. 1996. 565 , concl. Y. Chauvy  ; GADT n° 37). Les secondes exigences, mentionnées à l’article L. 3123-33 du code du travail et ne pouvant être rattachées à la nature spécifique du contrat intermittent, font naître une présomption simple que l’employeur peut renverser en apportant la preuve que le salarié n’était pas dans l’obligation de se tenir en permanence à la disposition de l’employeur. Cette appréciation rappelle alors la jurisprudence adoptée en matière de travail à temps partiel : la violation des conditions de forme du contrat n’emporte qu’une présomption simple de contrat de travail à temps complet (Soc. 14 mai 1987, n° 84-43.829, Bull. civ. V, n° 337 ; Dr. soc. 1988. 444, obs. J. Savatier) que l’employeur peut renverser en apportant la preuve que le salarié ne travaillait pas à temps complet et qu’il « connaissait à l’avance ses horaires de travail et n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme [il] devait travailler et n’avait pas à se tenir en permanence à disposition de l’employeur » (V. not. Soc. 15 sept. 2010, n° 09-40.473, Bull. civ. V, n° 179 ; Dalloz actualité, 4 oct. 2010, obs. J. Siro  ; D. 2010. 2165  ; RDT 2010. 710, obs. V. Bonnin ).

Quelques jours après avoir rendu un arrêt énonçant que l’absence de mention précise des emplois permanents par l’accord collectif doit emporter la requalification du contrat en contrat à temps complet (Soc. 11 mai 2016, n° 15-11.382, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. W. Fraisse ), la chambre sociale marque donc à nouveau sa volonté de sanctionner le détournement de l’objet du contrat de travail intermittent.

par Magali Roussel le 13 juin 2016

Source : http://www.dalloz-actualite.fr

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