Thème : « La lutte contre le terrorisme : un défi pour les Etats Africains à l’aube du 21ème siècle »
Monsieur le Président de la République
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale du Sénégal
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale de la Côte d’Ivoire
Madame le Président du Haut Conseil des collectivités territoriales
Madame le Président du Conseil Économique, Social et Environnemental,
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Honorables Députés
Monsieur le Premier Président de la Cour des Comptes
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de Missions Diplomatiques
Monsieur le Médiateur de la République
Mesdames, Messieurs les Magistrats
Messieurs les anciens Bâtonniers, Mesdames Messieurs les Avocats, Chères Consœurs, Chers Confrères
Messieurs les Officiers Généraux
Mesdames, Messieurs les Recteurs, Doyens et Professeurs des Universités,
Messieurs les Dignitaires Religieux et Coutumiers,
Mesdames, Messieurs les Administrateurs de Greffe et Greffiers
Madame, Messieurs les Présidents de la Chambre des Notaires,
de l’Ordre National des Huissiers de justice
de l’Ordre des Experts Comptables et comptables agréés,
de l’Ordre des Experts et Evaluateurs agréés
Mesdames, Messieurs les Officiers Ministériels et acteurs de la Justice,
Honorables invités, Mesdames, Messieurs,
Excellence Monsieur le Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Je voudrais, avant toute chose, rendre grâce à Dieu, le Tout-Puissant, qui a créé cette occurrence.
- Vous, Président de la République du Sénégal,
- Moi, même si le moi est haïssable, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Sénégal.
- Nous deux, amis depuis 40 ans.
Nos chers parents, aujourd’hui disparus, à n’en pas douter, posent sur cette audience, un regard très attendri.
Ils bénissent cette image qui donne envie, à l’instar du poète Alphonse de Lamartine, en pâmoison devant son lac, d’invoquer cette voix intérieure qui chante : « Ô temps, suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours »
Continuons à prier pour eux.
Excellence Monsieur le Président de la République,
Même si tout le monde l’a compris, il ne me parait pas superflu de préciser que dans cette salle d’audience, c’est le Bâtonnier de l’Ordre des avocats qui s’adresse à Monsieur le Président de la République.
Il en sera d’ailleurs souvent ainsi, pendant les trois années à venir.
Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Vice-Président du Conseil Supérieur de la Magistrature
Votre nomination à cette prestigieuse fonction, par Monsieur le Président de la République, illustre, si besoin en était, l’estime et la haute considération qu’il voue à notre Ordre. Vos confrères, sont, à la fois fiers et rassurés par cette nomination.
Nous saluons à vos côtés Monsieur le Secrétaire d’Etat aux droits humains.
Soyez assuré que le Barreau sera toujours à vos côtés.
Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême,
Votre présence à la cérémonie de passation de charges entre mon prédécesseur le Bâtonnier Mbaye GUEYE et moi-même, témoigne de l’estime et de la considération que vous portez à notre barreau et à ceux qui le représentent, ce que nous vous rendons bien..
Soyez assuré que la collaboration et le dialogue permanents que vous avez instaurés avec mes prédécesseurs se poursuivront et se développeront sans cesse.
Monsieur le Procureur Général près la Cour Suprême,
Je vous associe, sans la moindre réserve à cet hommage qui est rendu à Monsieur le Premier Président, et vous dis, une nouvelle fois, toute l’admiration et tout l’attachement que j’ai pour l’ainé et l’excellent magistrat que vous êtes.
Monsieur le Président de la République,
Permettez-moi, pendant quelques instants encore, de laisser parler mon cœur.
Laisser parler mon cœur, c’est d’abord vous dire à quel point, j’apprécie la présence à mes côtés, des anciens bâtonniers : Ely Ousmane SARR, Moussa Félix SOW, Ahmed BA et surtout de mon prédécesseur immédiat, le Bâtonnier Mbaye GUEYE, qui après trois années d’efforts méritoires couronnés d’acquis éclatants, tant pour notre barreau que pour les sept autres barreaux de l’espace UEMOA, dont il préside la conférence, m’a passé le flambeau avec une élégance que tout le monde se plait à saluer.
Laisser parler mon cœur, c’est vous dire le chagrin, les blessures d’amour du Bâtonnier, des membres de notre barreau et de la famille judiciaire, au cours de cette année 2019 qui a vu disparaître :
- Le Premier Président Souleymane SO
- Le Président Makhète DIEYE
- Me Mbaye Jacques NDIAYE
- Me Papa Oumar NDIAYE
- Me Waly DIOP
- Me Aboubakrine GUEYE
- Me Papa BASSEL
Le Barreau du Sénégal, par ma voix, renouvelle ses vives condoléances à leurs familles et prie le Bon Dieu de leur faire une place au paradis.
La rentrée solennelle des Cours et Tribunaux, est un moment d’échanges, que dis-je, de dialogue entre différents acteurs et pas des moindres, de l’espace républicain, sur une ou des problématiques qui constituent le plus souvent, pour ne pas dire toujours, la ou les préoccupation(s) nationale(s) les plus aigüe (s) de l’heure, même s’il faut reconnaître, avec une pointe de regret, que les termes de ce dialogue, ne font pas toujours l’objet d’un suivi qui en fixe et en fige les conclusions dans le long fleuve rarement tranquille de nos vies.
Le thème d’une rentrée solennelle a, en outre, un côté contraignant, dans le sens le plus rafraîchissant du terme : il nous oblige à l’introspection, à la réflexion, à un retour à nos chères études, à une révision de nos certitudes.
Monsieur le Président de la République,
Nous voici donc invités, à cogiter, échanger sur le thème : « la lutte contre le terrorisme, un défi pour les Etats africains à l’aube du 21ème siècle ».
Ce thème, qui est d’une brûlante actualité, me parait procéder d’une symphonie à deux voix :
- La voix de l’exécutif que vous incarnez.
Le 15 mai 2019 à Paris, vous avez répondu à l’appel de CHRISTCHURCH, lancé conjointement par le Président français Emmanuel Macron et la Première Ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, contre la diffusion des contenus en ligne, manifestant ainsi votre souhait de voir le Sénégal devenir l’un des leaders de la lutte contre la cybercriminalité et s’engager à lutter contre les facteurs du terrorisme et de l’extrémisme violent, tout en veillant à l’application effective des lois en vigueur.
En septembre de la même année, au cours de la 74ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation de Nations Unies (ONU), vous invitiez le Conseil de Sécurité de cette organisation à doter la Minusma d’un mandat robuste et d’équipements adéquats, pour la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Cette prise de conscience sur les dangers de cette forme de criminalité globale vous a valu d’être choisi par vos pairs pour présider le Comité de haut niveau sur la paix et la sécurité en Afrique de l’Ouest et ce n’est point fortuit que sous votre impulsion, le Sommet de la CEDEAO tenu à Ouagadougou le 13 septembre 2019, ait décidé d’affecter un million de dollars US à cette lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest.
Tout cela témoigne de votre détermination à faire face au terrorisme et à l’extrémisme violent.
J’ai dit tout à l’heure « symphonie à deux voix »
- La deuxième voix est, bien évidemment, celle du pouvoir judiciaire exercé par les Cours et Tribunaux à la tête desquels se trouve le Premier Président de la Cour Suprême, Monsieur Mamadou Badio CAMARA.
Le 2 mars 2018, se tenait ici, la Conférence finale des Cours suprêmes des pays du Sahel, membres de l’Association des Hautes Juridictions de Cassation ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), face au terrorisme.
Les recommandations résultant de cette réflexion commune des représentants des Cours Suprêmes s’inscrivent en droite ligne du mémorandum de Rabat 2012 sur les bonnes pratiques pour des actions efficaces de lutte contre le terrorisme en justice pénale.
J’en retiendrai une, qui me semble la plus pertinente.
Monsieur le Premier Président,
En effet, avec vos homologues, Présidents des Cours Suprêmes des pays du Sahel, vous affirmiez ce qui suit : « les attentats terroristes heurtent profondément la conscience humaine et appellent des actions fortes et efficaces, tendant à leur prévention et à leur répression mais toujours dans le respect de l’Etat de droit et des principes fondamentaux, que l’on soit en temps de paix ou en période de conflit. Ainsi la justice, dont l’action s’inscrit dans la durée, doit-elle toujours être rendue avec objectivité et impartialité, quelles que soient les pressions extérieures. En résumé, les Cours Suprêmes affirment ici qu’elles sont conscientes de la nécessité de lutter contre le terrorisme avec efficacité tout en garantissant le respect des droits fondamentaux »
Il me plait de souligner, en passant, car j’y reviendrai, que cette position rassure l’Ordre des Avocats, ne serait-ce qu’à l’aune des principes du procès équitable.
Pour revenir à mon propos, je rappelle que c’est de façon tout à fait logique que la symphonie à deux voix a abouti au choix de ce thème, dans lequel, il faut voir une invitation faite par le Président de la République à la famille judiciaire dans son ensemble, à s’approprier ce combat pour notre survie et à partager avec lui, cette prise de conscience nécessaire à une lutte efficace, cohérente et républicaine.
Le Barreau du Sénégal, par ma voix, se réjouit de pouvoir apporter sa modeste contribution à cet échange républicain.
Je suis astreint à la modestie, au regard de la densité de la réflexion de Madame le Juge Mayé Diouma Diouf DIOP, dont le mérite est très grand.
Etre désigné pour prononcer un discours d’usage est, pour le magistrat, ce que participer à la finale d’un concours de plaidoiries est pour l’avocat.
Madame le Juge l’a tellement bien compris que l’on peut la créditer d’avoir assimilé cette leçon du Marquis de Vauvenargues :
« Dire d’une chose, modestement, ou qu’elle est bonne, ou qu’elle est mauvaise et les raisons pourquoi elle est telle, demande du bon sens et de l’expression ».
Madame le Juge, vous avez le bon sens et l’expression et votre travail peut indubitablement servir.
Si j’avais un seul début de reproche à vous faire, il consisterait à vous dire que vous m’avez ôté le pain de la bouche, que vous me rendez la tâche difficile.
J’aurai peut-être à vous répéter, mais renchérir sur ce que vous avez déjà dit, c’est vous donner raison.
Apporter notre contribution à cette agora judiciaire, c’est d’abord rappeler que, la méthode fondée sur la terreur remonte à très loin dans le temps puisque, lorsqu’on suit à rebours la pendule de l’histoire, l’on entend parler des zélotes, secte radicale juive, organisée à partir de l’an 63 avant Jésus Christ et résistant à l’occupation de Jérusalem par les Romains.
Elle pratiquait déjà l’assassinat politique contre les païens qu’elle voulait chasser de la Terre Sainte, mais aussi contre des juifs soupçonnés de collaboration avec l’occupant.
Les ennemis des « zélotes » les nommaient « sicaires », par référence au poignard facile à dissimuler qu’ils utilisaient (le sica).
Bien plus tard, le 5 novembre 1605, un groupe de catholiques à la tête desquels se trouvait le nommé Guy Fawkes a organisé un attentat contre le Parlement de Londres et contre le roi Jacques 1er. Sous une cave du parlement, il a été découvert 36 fûts d’explosifs, après que l’un des conjurés, pris de remords eût écrit à un lord pour se repentir.
Depuis lors, les Anglais célèbrent la « Guy Fawkes Night », faisant éclater des pétards dans la journée et tirant des feux d’artifice le soir.
S’il y a une réalité qui a fait couler beaucoup d’encre, de salive et, disons-le, de sang, en ce 21ème siècle déjà adolescent, c’est bien le terrorisme.
Pourtant, la définition du terrorisme reste très controversée.
Il est même permis de dire qu’il y en a de diverses et variées, ce qui fait dire à deux auteurs, l’universitaire Alain Bauer et le magistrat Jean Louis Bruguière, dans un ouvrage intitulé « les 100 mots du terrorisme » :
« Rien n’est plus difficile que de donner un sens précis à un terme galvaudé ou manipulé à satiété. Il n’existe pas un terrorisme (mot provenant du latin classique « terror » qui signifie effroi, épouvante) en soi, mais des actes que la loi d’un pays donné, à un moment donné, qualifie comme tels ».
« Aucune définition universelle n’en a été adoptée, ce qui réduit la portée des résolutions de l’ONU sur le sujet. La principale difficulté vient du fait que nombre d’Etats, notamment du Tiers Monde, considèrent que le terrorisme est un combat légitime, voire une « guerre du pauvre » alors que les pays (notamment occidentaux) qui en sont les victimes l’envisagent sous l’angle de ses effets destructeurs, lâches et criminels à leurs yeux ».
En Afrique, la Convention d’Alger, sous l’égide de l’OUA, définissait le terrorisme comme un acte ou menace d’acte en violation des lois pénales de l’Etat-partie, susceptible de mettre en danger la vie, l’intégrité physique, les libertés, d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui occasionne ou peut occasionner des dommages aux lieux privés, publics, aux ressources naturelles, à l’environnement, au patrimoine culturel et commis dans l’intention d’intimider, de perturber, de créer une insurrection générale dans un Etat partie.
Le 19 septembre 2006, les 192 Etats membres ont convenu, pour la première fois également, d’une approche commune et adopté une « stratégie antiterrorisme mondiale pour les Nations Unies », une prise de position qui permet de recourir au chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour contraindre un Etat convaincu d’activités terroristes, de s’acquitter de ses obligations.
L’historien et éditorialiste américain Walter Laqueur a quant à lui identifié quelques idées préconçues, d’inégale pertinence, sur le terrorisme.
- Le terrorisme est un des plus importants et dangereux défis des temps modernes.
- Le terrorisme est une réponse à l’injustice
- Le seul moyen de lutter contre le terreau du terrorisme consiste à réduire l’animosité, le stress et la frustration qui en sont l’origine.
- Les terroristes sont des fanatiques poussés au crime par des conditions de vie intolérables. Ils sont pauvres et leur inspiration est profondément idéologique.
- Le terrorisme peut frapper n’importe où.
Que l’on partage ou non ces idées préconçues, force est de convenir que le terrorisme constitue une vraie épée de Damoclès pour tous les peuples du monde, un défi que tous les Etats, donc les Etats africains, doivent relever, d’où la pertinence du thème de cette rentrée.
Monsieur le Président de la République,
Même si nous pouvons déplorer par ci, par-là, la présence de sénégalais parmi les victimes d’actes terroristes perpétrés sur d’autres territoires, il demeure que jusqu’ici, notre pays est épargné par ce fléau.
Nous devons rendre grâce à Dieu et prier pour que la paix continue à nous envelopper de son drap immaculé, mais surtout rendre hommage à nos forces de défense et de sécurité, dont vous êtes le Chef suprême, sans la vigilance desquelles, nous aurions peut-être connu quelques mésaventures.
Cette vigilance est d’autant plus nécessaire, j’allais dire indispensable, que la situation en Afrique en général et dans notre sous-région en particulier est plus qu’alarmante.
Il est presque sans intérêt de rappeler que tous les jours, les organisations terroristes évoluent et gagnent en superficie.
La liste des organisations « islamistes » répertoriées en Afrique donne le tournis.
- AQMI et ses différentes Katibas (Al Fourghane, Tariq ibn Ziyad et El Fatihine et Al-Ansar
- Le MUJAO, Al Mourabitoune et Boko Haram dont le titre d’organisation terroriste la plus meurtrière ne semble guère usurpé.
Enfin, le phénomène du djihadisme en Afrique parait étroitement lié à la criminalité transnationale, ce qui complexifie son éradication. Les organisations terroristes financent leurs activités à travers le contrôle du trafic de drogue.
Pour faire face à ces menaces multiples et variées, les Etats Africains ont mis en place un éventail de stratégies internationales, nationales et régionales en vue d’éradiquer le terrorisme, sous toutes ses formes : Epervier, Serval, Barkhane, Architecture Africaine de Paix et de sécurité 5APSP), Conseil de Médiation et de sécurité de la CEDEAO, G5 Sahel.
Il demeure toutefois possible d’affirmer, que les solutions et même les victoires militaires ne suffisent pas pour éradiquer le terrorisme car, il ne faut pas, occulter le fait que le terrorisme est, certes, un phénomène politique, mais il demeure d’essence éminemment sociale et sociétale.
Le terrorisme est en effet, quelques fois, voire souvent, le stade ultime de la radicalisation engendrée par la frustration et l’humiliation induites par une société qui se révèle incapable de tenir ses promesses par le respect des règles qui sont censées assurer sa parfaite régulation.
Dès lors, il devient clair que la solution susceptible d’enrayer complétement le terrorisme et, par ricochet, créer une paix positive, consiste à bâtir des cadres politico-institutionnels permettant d’améliorer considérablement les conditions sociales des populations.
En effet et de toute évidence, si la force armée pouvait seule venir à bout du terrorisme, l’Occident ne connaitrait plus d’attentat sur son sol. Ses fils, même bien éduqués et intégrés socialement, n’auraient pas ressenti le besoin impérieux de rejoindre l’organisation de l’Etat islamique. Seul un sentiment de mal-être social et un désenchantement par rapport aux piliers de la société occidentale semblent pouvoir expliquer de tels choix.
C’est également par le truchement de la déconstruction des thèses extrémistes et la création de sociétés plus inclusives, que le djihad pourra être vaincu de manière structurelle, l’approche purement sécuritaire ou militaire ayant largement exposé ses limites.
Pour gagner le défi de la lutte contre le terrorisme, les Etats Africains doivent donc comprendre que la Kalachnikov ne vient pas toujours à bout d’une idéologie, car elle n’enraye jamais la frustration découlant d’un système socio-économique porteur de rejets, d’inégalités, de frustrations et d’humiliations.
Monsieur le Président de la République,
De façon tout à fait opportune, notre Code Pénal, par le truchement de la loi N°2016-29 du 8 novembre 2016 a accueilli dix-neuf nouveaux articles (de 279-1 à 279-19) qui passent en revue les infractions liées au terrorisme sous des rubriques aussi pointues que variées.
L’article 279.1 qualifie d’actes de terrorisme, 16 actes ou séries d’actes qui vont des attentats et complots aux atteintes à la défense nationale « lorsqu’ils sont commis intentionnellement, en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but d’intimider une population, de troubler gravement l’ordre public ou le fonctionnement normal des institutions nationales ou internationales, de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte quelconque par la terreur ».
La répression est très sévère puisqu’elle oscille entre dix et vingt ans de travaux forcés ou de détention criminelle et la perpétuité.
J’observe également, que vous avez présenté et fait voter par l’Assemblée Nationale, la loi n°2018.03 du 26 février 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Ce faisant, vous donnez corps à des engagements internationaux de notre pays et restez dans la logique de concilier les impératifs de sécurité intérieure et extérieure avec l’application du droit à la libre circulation des personnes et des biens au sein de l’espace CEDEAO.
Mon propos serait d’ailleurs incomplet si je ne mentionnais pas toutes vos initiatives s’inscrivant dans le cadre d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme qui part d’un diagnostic et d’un état des lieux sans complaisance de la situation sécuritaire de l’Afrique en général et de notre sous-région en particulier, à la définition d’un dispositif opérationnel, en passant par la définition de nos principes, de nos objectifs, de nos acteurs et de nos recommandations.
Tout cela constitue un ensemble cohérent qui, avec l’aide de Dieu, nous préservera durablement, c’est une prière, de ce fléau qu’est le terrorisme.
Il conviendra toutefois d’y ajouter un élément qui me parait d’autant plus fondamental qu’il constitue la substance d’un appel que je lance ici et maintenant : puisons dans nos ressources enfouies ou révélées, les moyens de cultiver, d’asseoir durablement, que dis-je définitivement, l’édifice de la tolérance, en particulier de la tolérance religieuse.
Le Sénégal ne doit jamais oublier qu’une population très majoritairement musulmane, a élu un président de la République, de confession chrétienne.
Le Sénégal ne doit et ne peut plus se permettre de célébrer ses fêtes religieuses les plus importantes en rang dispersés.
Lutter contre le terrorisme, c’est d’abord lutter contre le terrorisme de la pensée, le terrorisme du langage.
Lutter contre le terrorisme, c’est, comme disait Albert CAMUS, « élever ce pays en élevant son langage ».
Vous avez donc bien raison, Monsieur le Président de la République de nous inviter à un dialogue national, à travers les décrets 2019-1106, 2019-1307, 2019-2004, 2019-2005.
Oui, dialoguons, franchement, sincèrement, sans ambages et sans tabous.
Ne dialoguons surtout pas comme l’hyène avec la girafe, autrement dit, avec un couteau derrière le dos.
Souvenons-nous à chaque instant, qu’au-dessus de nos chapelles ethniques, politiques, confrériques, religieuses, il y a la République, il y a surtout notre créateur, Dieu le Tout Puissant.
Inspirons-nous, à chaque instant, de ce slogan qui accompagne l’émission Téléfoot : « Nous n’avons pas le même maillot, mais nous avons la même passion ».
Je ne saurais toutefois terminer sans rappeler, sans doute du fait de mon inclination naturelle à la défense et du mandat dont je suis investi, que le regard de notre barreau reste en grande partie, focalisé sur la judiciarisation du processus de lutte contre le terrorisme, c’est-à-dire en dehors des canaux jusqu’ici mis en exergue : la lutte armée et la mobilisation des finances.
Il faut se souvenir en effet, que la lutte contre le terrorisme est un dilemme permanent, une dialectique quotidienne qui consiste à concilier :
- d’une part, le droit et la justice
- d’autre part, les impératifs de sécurité.
Tout cela a fait dire au Président Tchadien Monsieur Idriss DEBY :
« Assurer la sécurité du citoyen sans sacrifier les droits de ce même citoyen, est devenu un véritable casse-tête à la fois juridique, philosophique et pratique dans nos sociétés modernes, durement frappées par un terrorisme aveugle dont les amateurs ne connaissent ni foi, ni loi ».
Le même d’ajouter : « dans ce grand écart entre droit et sécurité, l’avocat joue la partition la plus honorable car c’est lui qui veille à ce que la soif de justice, aussi légitime soit-elle, ne l’emporte pas sur l’honneur de la justice.
C’est l’avocat également qui tire la sonnette d’alarme lorsque la raison d’état tend à prendre le pas sur l’Etat de droit dans un contexte où les tentations sont grandes, face à des menaces insaisissables et des drames insupportables ».
Ces propos, je le souligne, ont été tenus le 04 décembre 2019, au cours de la cérémonie d’ouverture du 34ème Congrès de la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune dite CIB, dont le thème était : « Avocat, justice et sécurité en temps de crise ».
L’Etat de droit exige en effet, que quelle que soit la monstruosité de l’acte qui lui est reproché, un être humain reste présumé innocent jusqu’à ce qu’il en soit jugé autrement et en tout état de cause, bénéficie d’un procès équitable.
A cet égard, la symphonie à deux voix, que j’ai invoquée tantôt et cette convergence de vues entre le Chef suprême des Armées et les Chefs de hautes juridictions concourent avant toute chose à une application intégrale du règlement N°05/CM/UEMOA relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA, notamment l’intervention de l’avocat dès l’interpellation.
C’est l’occasion de vous remercier, Monsieur le Président de la République, d’avoir, le 27 décembre 2019, accordé au Conseil de l’Ordre des Avocats une audience au cours de laquelle, vous avez réaffirmé votre vif intérêt et votre attachement aux idéaux de la défense dont vous reconnaissez le caractère de service public, puis donné des instructions, à la fois pour l’augmentation substantielle de l’aide juridictionnelle, la mise en place des fonds destinés à l’édification de l’Ecole des Avocats, et pour l’appui à apporter aux membres de notre Barreau en vue de l’accession à la propriété foncière.
Dès qu’elles seront entièrement exécutées, ces instructions, permettront à notre Barreau, de se retrouver de plain-pied dans le Plan Sénégal Emergent et d’y jouer pleinement sa partition.
En effet, l’augmentation et l’effectivité de la mise à disposition de l’aide juridictionnelle au Barreau lui permettront d’encourager l’installation des avocats dans toutes les régions de l’intérieur du pays et dans le même temps, de procéder au recrutement d’un plus grand nombre de jeunes dans la profession, ce qui répond de façon adéquate à votre souci de l’équité territoriale.
Ce dispositif permettra également de rendre plus opérationnelle notre formation initiale et continue, instrument indispensable pour de meilleures performances.
Sur le même registre, je mentionnerai la nécessaire réforme de la procédure pénale, en vue de mettre un terme aux longues et abusives détentions provisoires même en matière criminelle et/ou de terrorisme, terreau de la surpopulation carcérale.
Comment enfin, ne pas mentionner, cette revendication récurrente des avocats : la réduction, voire l’éradication du déséquilibre entre la défense et le parquet ?
A cet égard, il me suffira de mentionner qu’à ce jour, aucune disposition de notre Code de Procédure Pénale n’oblige le Ministère Public, ni le Juge d’instruction à remettre aux avocats des parties une copie de leurs dossiers.
Il convient en effet, de ne point susciter chez le citoyen, cette interrogation qui est également le titre du livre d’une ancienne députée française du nom de Barbara Romagnan : « Mon pays me manque, que sont devenus les droits de l’homme ? ».
Après avoir passé en revue la situation des droits de l’homme dans son pays, elle conclut par deux chapitres :
- le pays des droits de l’homme n’est que celui de sa déclaration.
- plus que jamais, défendre les droits humains.
La justice par définition, ne doit pas porter les germes de l’injustice.
Parce que je le connais personnellement, je sais que ces doléances ne laisseront pas insensible votre Ministre de la Justice, mon excellent confrère Malick SALL.
Vous non plus d’ailleurs, Monsieur le Président de la République et c’est heureux.
Je vous souhaite une année paisible et heureuse et vous remercie de votre aimable attention.
Dakar, le 09 janvier 2020
Maître Papa Laïty NDIAYE