Date : 8 janvier 2019
Lieu : Cour suprême
Thème : La protection des données personnelles au Sénégal
Monsieur le Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président du Haut Conseil des Collectivités Territoriales,
Madame la Présidente du Conseil Économique, Social et Environnemental,
Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Vice-Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Honorables Députés,
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême,
Monsieur le Procureur Général près la Cour Suprême,
Monsieur le Premier Président de la Cour des Comptes,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de Missions Diplomatiques,
Monsieur le Médiateur de la République,
Mesdames, Messieurs les Magistrats,
Messieurs les anciens Bâtonniers, Mesdames Messieurs les Avocats, Chers Confrères,
Messieurs les Officiers Généraux,
Messieurs les Recteurs Doyens et Professeurs des Universités,
Messieurs les Dignitaires Religieux et Coutumiers,
Mesdames, Messieurs les Administrateurs des Greffes et Greffiers,
Mesdames, Messieurs les Officiers Ministériels et Auxiliaires de Justice,
Honorables invités, Mesdames, Messieurs,
Vous me permettrez, à l’entame de mon propos de rendre un hommage mérité à un éminent confrère, un grand sénégalais qui nous a quitté.
Maître Mamadou LO est parti comme il a vécu, en toute discrétion.
Discrétion jusqu’à l’ultime moment car il avait demandé à être enterré avant que la nouvelle de son décès ne soit rendue publique.
Eminent avocat ; l’un parmi les meilleurs du Barreau, Enseignant à la faculté de droit de l’université de Dakar, membre du Conseil Constitutionnel, premier candidat indépendant à une élection présidentielle au Sénégal, Maître Mamadou LO a servi sa profession et sa patrie.
Mais, il avait de qui tenir parce qu’ayant été formé au stage par le Bâtonnier Fadilou DIOP accueilli dans la profession d’avocat par le Bâtonnier alors en exercice Babacar SEYE et côtoyant le grand homme de Dieu, Khalife Général des Mourides, Serigne Abdoul Khadre MBACKE dont il était l’homme de confiance.
Aux côtés de ces grands hommes, il a assimilé les vertus de l’humilité, de la discrétion, de l’effacement du don de soi, de la solidarité, du partage, de l’intégrité mais aussi du courage et de la compétence.
Maître Mamadou LO n’a jamais pensé qu’il fallait courir derrière le micro ou la caméra ou investir les réseaux sociaux pour réussir dans la profession ou dans la politique.
Il était plus silence que parole, plus modestie que m’as-tu vu, ce qui ne l’a pas empêché par sa compétence de réussir sa vie et de décrocher le grade du respect.
Au total, avec Maître Mamadou LO, nous pouvons paraphraser Monseigneur Ganye : « Lorsqu’un grand homme s’en va, ce n’est pas un abîme qui se creuse, c’est un sommet qui se dévoile ».
Puisse Maître Mamadou LO reposer en paix au paradis et son exemple inspirer la jeune génération d’acteurs de la justice.
Je formule les mêmes prières pour Maîtres Jacques BAUDIN, Alioune Badara COBAR et Léon Wagane DIOUF qui nous ont tous quitté au courant de l’année 2018.
La vie a suivi son cours et le Barreau a élu le dauphin du Bâtonnier.
Mon confrère et ami Maître Papa Laïty NDIAYE a bénéficié de la confiance de ses pairs pour, dans quelques mois, prendre la relève et poursuivre l’œuvre de ses prédécesseurs
En lui réitérant mes vives félicitations, je suis persuadé qu’il sera digne de la tradition d’excellence du Barreau du Sénégal. C’est le lieu de remercier tous les membres de la magistrature sénégalaise avec qui nous collaborons depuis ces années pour asseoir une justice de qualité.
Monsieur le premier président de la Cour suprême, Monsieur le Procureur Général près ladite cour, nous apprécions à sa juste valeur l’accompagnement dont nous sommes l’objet. Ces remerciements s’adressent à tous les premiers présidents et à tous les procureurs généraux près les Cours d’appel avec une mention particulière au premier président et au Procureur général près la Cour d’Appel de Dakar.
De manière générale, à tous les chefs de juridictions et de parquets ainsi qu’au président de l’Union des Magistrats du Sénégal.
A vous Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, les liens qui nous unissent depuis de si longues années font que nous ne pouvons avoir que des relations professionnelles de qualité. Il ne peut pas en être autrement car, je considère votre réussite au département comme la mienne propre et vice versa.
Ensemble, nous venons de terminer le recrutement de 18 diplômés des facultés de sciences juridiques et politiques dans le Barreau.
Ils étaient au nombre de 15 l’année dernière et 33 il y a deux ans.
Autrement dit, en 3 années, le Barreau a intégré en son sein 66 diplômés des facultés de sciences juridiques et politiques.
Aucune profession ne peut prétendre faire autant.
Monsieur le Président de la République,
En vous remerciant pour tout le soutien que vous ne cessez de nous apporter, je peux dire que ces performances du Barreau, pour appréciables qu’elles soient, peuvent être accrues.
J’appelle alors de mes vœux la mise en œuvre du projet discuté avec Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice consistant à répartir l’enveloppe de l’assistance judiciaire entre les différentes régions du Sénégal afin de favoriser l’installation des jeunes avocats dans ces dernières.
Nous nous réjouissons déjà d’avoir cette année, favorisé l’installation de 3 jeunes avocats à Kaolack, un à Louga et un à Tambacounda.
Le mouvement va se poursuivre mais nous vous demandons, Monsieur le Président de la République, outre l’augmentation de l’enveloppe, de bien vouloir insister auprès de qui de droit car les arriérés que vous avez déplorés sont revenus et commence à devenir un sérieux handicap.
Monsieur le Président de la République,
Vous avez décidé que la présente audience solennelle aborde une question à la fois importante et actuelle : « la protection des données personnelles au Sénégal ».
Le droit à la vie privée est un droit fondamental, garanti par l’article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme citée dans le Préambule de plusieurs constitutions du Sénégal fait partie du bloc constitutionnel depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 23 juin 1993. Le droit à la vie privée constitue donc un droit constitutionnel reconnu à tout citoyen sénégalais même s’il n’est pas expressément cité dans la Constitution du 5 avril 2016.
Le Sénégal est allé plus loin dans la protection de la vie privée en protégeant l’intimité même de la vie privée. En effet, il a été inséré dans le Code Pénal, par la faveur de la révision du 8 novembre 2016, l’article 363 bis qui punit l’atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée d’autrui.
Toutefois, dans l’arsenal juridique sénégalais, pas une seule fois, la notion de vie privée n’y est explicitée. Le concept, apparu pour la première fois sous la plume de deux avocats Samuel Warren et Louis Brandeis, était défini comme étant « le droit d’être laissé tranquille ». Sans lui donner une définition, la jurisprudence s’est évertuée à préciser le domaine de la vie privée. Pour s’en rendre compte, il est possible d’utiliser « l’image des cercles concentriques » de François Terré. Dans le cercle extérieur, l’on pourrait mettre les éléments concernant la vie familiale et les relations sentimentales, les loisirs, le domicile, les produits de beauté utilisés, le mode de vie ou les paroles prononcées, à titre privé et confidentiel. Au cœur du cercle intérieur, s’inscrivent les éléments relatifs à la vie personnel de l’individu notamment ceux tenant à son identité, son origine raciale, sa santé physique ou mentale, ses caractères ou mœurs. Ces derniers, parce qu’ils sont intrinsèquement liés à l’individu, permettent d’identifier soit directement soit indirectement celui à qui ils s’appliquent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils sont appelés informations nominatives ou encore données à caractère personnel.
Le développement des technologies de l’information et de la communication a très fortement contribué à faciliter le quotidien des populations. Aujourd’hui, il est possible d’acheter, de vendre, d’accéder à un nombre incalculable d’informations, de services, par un simple clic. Toutefois, l’accès à toutes ces opportunités nécessite la collecte et le traitement d’informations nominatives. Les immixtions dans la vie privée sont devenues donc de plus en plus faciles et fréquentes. Au-delà de la consécration d’un droit constitutionnel à la vie privée, une protection spécifique des informations nominatives était devenue un impératif.
C’est ce que le législateur sénégalais a compris en adoptant d’une part la loi 2008-12 du 25 janvier 2008, portant sur la protection des données à caractère personnel, d’autre part le décret N°2008-721 du 30 juin 2008 portant application de ladite loi et la loi 2008-10 sur la cybercriminalité. Si les deux premiers textes prévoient les conditions applicables aux traitements des données à caractère personnel, les droits des personnes dont les données font l’objet de traitement, les obligations de ceux qui les traitent et créent la Commission de Protection des données personnelles, la loi sur la cybercriminalité quant à elle, prévoit les sanctions pénales applicables en cas de violation de la réglementation. Cette dernière sera abrogée et remplacée par la loi N°2016-29 du 8 novembre 2016 modifiant le Code pénal.
La réglementation sur les données personnelles s’applique à tout type de traitement effectué sur le territoire sénégalais ou sur tout autre lieu où la loi sénégalaise s’applique sans aucune considération sur la personne effectuant le traitement et les objectifs visés. Sont toutefois exclus, suivant des conditions prévues par la loi, les traitements de données mis en œuvre par une personne physique dans le cadre exclusif de ses activités personnelles ou domestiques.
La loi 2008-12 et son décret d’application correspondaient globalement aux standards internationaux en matière de protection de données personnelles au moment de son adoption.
En effet, sauf dans les cas prévus à l’article 17 de la loi, certaines formalités doivent être accomplies avant toute mise en œuvre d’un traitement de données personnelles. Il peut s’agir d’une information préalable, d’une autorisation de la commission de protection des données personnels ou de la loi, d’un acte réglementaire pris après avis motivé de la commission.
A cela, s’ajoute que le législateur sénégalais reprend les grands principes gouvernant la protection des données personnelles à savoir : les principes de légitimité, de licéité, de loyauté, de proportionnalité, d’exactitude, de transparence, de confidentialité et de sécurité.
En plus, il reconnait aux personnes dont les données font l’objet de traitement, un droit à l’information, un droit d’accès, un droit d’opposition, et un droit de rectification et de suppression et met à la charge des responsables de traitement, les obligations de confidentialité, de sécurité, de conservation et de pérennité.
En outre, le législateur sénégalais n’a pas manqué de s’intéresser aux données dites sensibles, à savoir les données révélant l’origine raciale, ethnique, régionale, la filiation, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l’appartenance syndicale, la vie sexuelle, les données génétiques et l’état de santé pour en interdire le traitement tout en admettant des dérogations qu’il prend le soin d’encadrer avec vigilance.
Enfin, il règlemente les interconnexions de fichiers contenant des données à caractère personnel ainsi que les transferts vers des pays tiers de données à caractère personnel.
Un dispositif pénal suffisamment dissuasif permet de réprimer tous les manquements au maillage juridique mis en place.
Afin de veiller à l’application correcte du dispositif légal, le législateur sénégalais a créé, une commission de protection des données à caractère personnel qu’il a appelé Commission des Données Personnelles (la CDP). Il n’est pas utile de revenir sur la composition et les pouvoirs de cette autorité administrative indépendante, après les brillantes explications de Monsieur le Conseiller Ousmane GUEYE que je félicite au passage pour la clarté et la pertinence de son exposé.
Dix ans après l’adoption de la loi 2008-12, on constate que l’évolution rapide des technologies et la mondialisation ont créé de nouveaux enjeux pour la protection des données personnelles. En effet, l’ampleur de la collecte et du partage de données personnelles a augmenté de manière exponentielle. Les technologies permettent tant aux entreprises privées qu’aux autorités publiques d’utiliser les données à caractère personnel comme jamais auparavant dans le cadre de leurs activités. De plus en plus, les personnes physiques rendent des informations les concernant accessibles publiquement et à un niveau mondial. Les technologies ont transformé à la fois l’économie et les rapports sociaux, et elles devraient encore faciliter le libre flux des données à caractère personnel et leur transfert vers des pays tiers ainsi qu’à des organisations internationales.
Ces évolutions requièrent un cadre de protection des données plus solide et plus cohérent, assorti d’une application rigoureuse des règles, car il importe de susciter la confiance qui permettra à l’économie numérique de se développer. Les personnes physiques devraient avoir le contrôle des données personnelles les concernant. La sécurité tant juridique que pratique devrait être renforcée pour les personnes physiques, les opérateurs économiques et les autorités publiques.
Le renforcement de ce cadre devrait comprendre la règlementation à la fois des objets connectés et des cookies et autres traceurs.
Les objets connectés sont définis comme étant des « objets qui captent, stockent, traitent et transmettent des données, qui peuvent recevoir et donner des instructions et qui ont pour cela la capacité à se connecter à un réseau d’information. Ce réseau est appelé Internet des Objets (IDO) ». On les retrouve dans différents domaines : sport, loisir, bien-être, santé, etc. Si à leurs débuts ils étaient de petits capteurs ou bracelets, aujourd’hui ils ont fini d’envahir notre quotidien sous la forme de montres, de jouets, de télévisions, de voitures, d’ampoules, de thermostats etc.
Les objets connectés collectent et transmettent une foule d’informations sur tous les aspects de la personne. Or, généralement les fabricants n’ont pas toujours une vraie culture de la sécurité informatique, ce qui fait que ces objets comportent généralement de grandes failles de sécurité facilement exploitables avec de petites connaissances informatiques. Le risque d’utilisation malveillante des informations qu’ils contiennent et le risque d’attaques ciblées font que l’encadrement des objets connectés est devenu un enjeu majeur.
Les cookies quant à eux ont envahi les sites web que nous visitons. Ils sont installés à notre insu mais parfois avec notre accord. Certains sites vont même jusqu’à refuser une connexion ou un téléchargement en cas de blocage des cookies ou de refus de les installer.
Un cookie est un petit fichier texte au format alphanumérique déposé sur le disque dur de l’internaute par le serveur du site visité ou par un serveur tiers. Il permet de reconnaître l’appareil la prochaine fois qu’il se connecte sur le site sans qu’il ne soit besoin de s’identifier.
Dans l’affaire DoubleClick vs All actions, jugée par la Cour du District de New-York, le 28 mars 2001, un expert en sécurité a démontré que par le biais d’un croisement de bases de données, certains types de cookies pouvaient être recoupés avec des données personnelles de telle sorte que ces données soient associées au profil – anonyme – défini dans les cookies sans le consentement de l’Internaute sur l’ordinateur duquel ces cookies sont enregistrés.
A cela s’ajoute que le nombre de cookies installés sur un appareil en dit long sur les types de sites web visités par son propriétaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les cookies sont indispensables au marketing sur internet et au ciblage du comportement. Ils méritent donc d’être encadrés au même titre que l’a été la prospection directe.
Au-delà du droit de modification et de suppression, le législateur devrait consacrer un droit à l’oubli pour toute personne dont les données font l’objet de traitement. Ce droit a été consacré pour la première fois par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans son arrêt du 14 mai 2014 dans l’affaire COSTEJA vs GOOGLE Espagne et GOOGLE INC. Entre autres questions, il était demandé à la Cour si un moteur de recherche est obligé de supprimer de la liste de résultats, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à une personne, y compris lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite ? Cette question se justifiait pour Monsieur COSTEJA par le fait que, lorsqu’un internaute introduisait son nom dans le moteur de recherche d’un groupe Google (« Google Search »), la liste de résultats affichait des liens vers deux pages d’un quotidien, datées de janvier et mars 1998 annonçant une vente aux enchères des biens immobiliers de Monsieur COSTEJA pour le recouvrement de ses dettes envers la sécurité sociale. Sous nos cieux, cette question se justifie par plusieurs autres raisons : il s’agit d’informations fausses ou erronées, d’images obscènes, d’enregistrements compromettants qui apparaissent dans les moteurs de recherche en introduisant le nom d’une personne.
A cela s’ajoute que des personnes font l’objet de traitement sans y avoir consenti et retrouvent leurs données sur la place publique. L’actualité récente avec le site seneporno est plus qu’édifiante à ce propos.
Le droit à l’oubli devrait permettre à toute personne dont les données font l’objet de traitement qu’elles soient effacées et qu’elles ne soient plus traitées lorsqu’elles ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, lorsque la personne a retiré son consentement ou lorsqu’elle s’oppose au traitement ou encore lorsque le traitement n’est plus conforme à la loi.
Le droit à l’oubli devrait être accompagné du droit au « déférencement ». Ce droit aura pour vocation de mettre à la charge de tout responsable de traitement qui a rendu des données à caractère personnel publiques, l’obligation d’informer toute personne qui traite ces mêmes données qu’il convient d’effacer tout lien vers elles, ou toute copie ou reproduction de celles-ci.
Le responsable de traitement devrait avoir l’obligation, sans délai, de notifier à la CDP toute violation de données à caractère personnel et d’informer la personne concernée. Cette obligation s’explique par le fait qu’une violation de données personnelles risque si aucune intervention appropriée n’est effectuée à temps de causer aux personnes concernées des dommages physiques, matériels ou un préjudice moral tels qu’une perte de contrôle sur leurs données à caractère personnel ou la limitation de leurs droits, une discrimination, un vol ou une usurpation d’identité, une perte financière, une atteinte à la réputation, une perte de confidentialité de données à caractère personnel protégées par le secret professionnel ou tout autre dommage économique ou social important.
Afin d’assurer un meilleur respect du cadre légal et réglementaire, tout responsable de traitement devrait être obligé de nommer un délégué à la protection des données qui peut être un employé ou un prestataire externe choisi pour ses connaissances approfondies du droit et de la pratique des données personnelles. Le délégué devrait avoir une mission d’information, de conseil, de contrôle et de coopération avec la CDP. Soumis au secret professionnel et à une obligation de confidentialité, il ne devrait recevoir aucune instruction et devrait être à l’abris de toute forme de pression dans l’exercice de ses fonctions.
La nécessité de réviser la loi 2008-12 est rendue plus pressante par l’adoption du Règlement 2016/679 du Parlement européen en date du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données dit RGPD. Ce règlement s’applique jusque dans nos murs en ce qu’il oblige tout sénégalais dont l’activité cible un ressortissant européen, à s’y conformer. Permettre aux opérateurs économiques de mener leurs activités en toute quiétude et sans risque de sanctions oblige le législateur à une révision profonde de la loi 2008-12.
La pratique judiciaire des données à caractère personnel mérite que l’on s’y attarde aussi.
A cet effet, l’examen de plusieurs décisions rendues permet de relever que les autorités de poursuite et de jugement, perdent souvent de vue qu’avant d’examiner le respect des principes, des droits de la personne dont les données font l’objet du traitement ou des obligations du responsable du traitement, elles doivent d’abord et avant tout s’intéresser au respect des formalités préalables à la mise en œuvre du traitement. Pour rappel, le nom respect de ces formalités est réprimé par l’article 431-14 du Code Pénal.
Ceci dénote d’un besoin important de formation des acteurs de la justice. Les violations du traitement de données à caractère personnel ne peuvent être efficacement sanctionnées que si les acteurs judiciaires sont conscients des enjeux et intérêts en cause.
Les enjeux actuels de la protection des données personnelles et la faiblesse des responsables de traitement qui acceptent de se conformer à la loi devraient induire une nouvelle orientation. En plus de recevoir les déclarations, demandes d’autorisation ou de se prononcer sur les plaintes dont elle est saisie, la CDP se doit de contrôler et d’auditer la politique de confidentialité de tous les grands responsables de traitement de données personnelles tels que les banques et établissements financiers, les opérateurs de téléphonie, les compagnies de distribution d’eau, d’électricité, etc. avec une attention particulière sur les GAFAM (GOOGLE, APPLE, FACEBOOK, AMAZONE, MICROSOFT) qui bien qu’étant au Sénégal et/ou traitant des données personnelles de sénégalais refusent d’appliquer les exigences de la loi sénégalaise sur la protection des données personnelles.
La rapidité de l’évolution technologique est incompatible avec la lenteur habituellement connue dans l’adoption des réformes. La révision de la loi 2008-12 n’aura toute sa pertinence que si, au moment d’entrer en vigueur, elle soit adaptée aux situations juridiques qu’elle est sensée régir.
De façon plus générale, les situations résultant d’un certain usage des réseaux sociaux deviennent de plus en plus délicates.
Monsieur le Conseiller Ousmane GUEYE a préconisé une répression plus sévère, des dérives notées à ce niveau.
Mais nous devons au préalable accepter que les réseaux sociaux ne font que nous renvoyer une image assez fidèle de l’état de notre société.
Une société ou l’intolérance et l’indiscipline gagne du terrain quotidiennement.
Il faut tout peindre ou dépeindre en noir, sinon n’êtes pas patriote ou guerrier. Il ne faut plus prendre le temps de réfléchir, le temps de l’analyse, le temps pour se faire une opinion, sinon vous êtes reprochable de manque de sincérité, de contamination politique, de complaisance.
Il faut faire des déclarations puériles, tapageuses et idéalistes pour mériter le sceau du vrai citoyen et la considération des trompettes de la renommée.
Il faut tout dénoncer, sinon vous avez peur ou vous n’avez pas de courage, vous êtes affecté de mille soupçons.
Il ne faut pas avoir d’avis contraire, sinon vous êtes couverts d’indélicatesses verbales ou d’injures.
Il y a comme un terrorisme de la pensée, qui veut arracher aux autres, toute liberté de pensée, de parler et de bien faire, tout bon sens, parce qu’il ne faut plus aujourd’hui s’embarrasser de manières, de formes, de courtoisie, de discernement et de bien faire.
Cette ambiance qui est écœurante, en arrive à anéantir toute objectivité et tout bon sens, dans un flot de médisances et de suspicions. Il est à craindre que cet aveuglement emporte toute construction sérieuse et décrédibilise notre expertise.
C’est entre autre, le résultat d’une politisation extrême, j’allais dire violente de l’espace public qui n’épargne personne, même pas les plus hautes autorités publiques et religieuses encore moins les acteurs de la justice que nous sommes, copieusement insultés par des personnes qui réclament en retour l’impunité, pas plus ni moins.
Aujourd’hui, dans notre société déréglée et plus précisément dans la presse incluant les réseaux sociaux, le bon magistrat est celui qui descend du matelas de sécurité que constituent son statut et son serment, pour emprunter le chemin hasardeux des déclarations activistes et attitudes de nature politique.
Quant au bon avocat, c’est l’adepte des déclarations fracassantes qui s’écartent des règles de courtoisie et de délicatesse de sa profession.
Or, l’Ordre des avocats n’est pas un syndicat. Ce n’est pas une association ou un regroupement politique de contre-pouvoir. C’est une institution qui régule et organise l’exercice de la profession d’avocat, en permettant l’accès du justiciable à la libre défense, par des professionnels du droit, astreints à une déontologie exigeante et qui utilisent le droit et rien que le droit, pour affirmer les droits et exiger la bonne application de la loi.
Cette situation amène certains à nous reprocher de jouer avec le feu, en souvenir de tous ces pays qui ont déconstruit leurs Etats, avant de prendre plusieurs années pour, non pas poser des actes de développement économique et social, mais reconstruire ce qu’ils avaient déconstruit.
Un Etat est une nécessité et personne ne doit contribuer à le fragiliser. Il doit être fort et juste. Fort par sa soumission à la légalité et par sa légitimité, juste de son équidistance et sa neutralité vis-à-vis des citoyens, dont les droits et intérêts doivent être préservés d’égale manière.
Devant une telle situation assez préoccupante, la justice a évidemment un rôle primordial à jouer pour préserver notre équilibre.
Mais ce rôle commence par les acteurs de la justice eux-mêmes, qui doivent s’astreindre à une formation continue devant leur permettre de maitriser la matière afin de relever les nouveaux défis résultant de l’usage abusif des réseaux sociaux.
Cependant, la justice n’est pas seule en cause, tant il est évident que la répression n’est pas le seul moyen pour contenir les dérives évoqués.
Nous devons de plus en plus recourir à l’éducation, à la formation, à la sensibilisation.
Car comme le dit le célèbre académicien Michel SERRES : « la science, c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c’est ce que le fils enseigne à son papa ».
En réalité, les réseaux sociaux sont de plus en plus envahi par nos enfants, nos neveux, nos petits-enfants, d’âge mineur, qui souvent les maitrisent techniquement mieux que nous.
Ces derniers sont-ils pour autant conscients des dangers et excès qui peuvent en résulter.
Je ne le pense pas ; et ils sont au contraire eux-mêmes victimes d’instruments dont la maitrise technique ne renvoie pas nécessairement à la conscience des dangers qui peuvent résulter d’un certain usage.
En vérité, si le Sénégal doit avoir une démarche face à l’usage abusif des réseaux sociaux, celle-ci doit d’abord consister à accompagner l’ouverture au monde de nos jeunes concitoyens, par un enseignement plus sérieux à l’école et dans les foyers de nos valeurs de civilisations.
Enracinement et ouverture avait préconisé le Président Léopold Sédar SENGHOR.
Il me semble que nous devons actualiser cette pensée, afin de préserver les valeurs de notre peuple dont la disparition progressive me parait être la source de l’essentiel de nos difficultés.
Je vous remercie pour votre aimable attention.