« Refondation » du Code du travail, « nuits debout » et parfum de Commune

Lu pour vous

girardEditorial de Lexbase, la lettre juridique n˚650 du 7 avril 2016

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Cette semaine, l’édition sociale de Lexbase est consacrée au projet de loi « El Khomri », ou plus institutionnellement le « projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » – on en oublierait presque l’objectif primordial de ce texte -, même si le texte est loin d’être encore publié, suscitant tant l’ire que l’on peine à espérer qu’il puisse poursuivre sa route encore, sans nouvelles embûches.

Ce texte prévoit la « refondation » du Code du travail ; de nouvelles dispositions relatives au temps de travail (titre I) ; entend favoriser une culture du dialogue et de la négociation (titre II) ; assurer la sécurisation des parcours professionnels (titre III) ; favoriser l’emploi (titre IV) ; et moderniser la médecine du travail (titre V), renforcer la lutte contre le détachement illégal (titre VI)… Thèmes, tour à tour développés par notre équipe éditoriale, sous la Direction de Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux.

Alors que la recodification intervenue en 2008 était censée doter la France d’un Code du travail stabilisé jusqu’en
2020, le projet de loi propose rien de moins qu’une « refondation de notre modèle social ». Si certains salariés, du secteur public essentiellement, et les syndicats ont manifesté leur rejet du premier texte présenté, voici que la jeunesse de France reprend la flamme contestataire contre un projet qu’elle accuse de favoriser la précarité de l’emploi. Tout y passe, du régime de l’apprentissage au CDD à répétition, des demandes d’allocation de transition entre la fin des études et la première embauche… à une révision du régime des cautions locatives.

« La jeunesse est la seule génération raisonnable« , nous livrait Françoise Sagan en 1994.

Il est certain que la méthode gouvernementale visant à réécrire le droit du travail peu avant les prochaines échéances électorales laisse pantois. Il est encore certain que, si les motifs du projet de loi sont louables et que toute liberté ou toute protection commence déjà par obtenir un emploi à l’ère du chômage de masse, un déficit de communication et de synthèse aura nui à l’intelligibilité du texte.

Désormais, « les nuits debout » se succèdent ; les quinquas vont écouter cette jeunesse qui se sent « mal aimée« , mal intégrée dans le monde de l’entreprise… mais pour quel résultat ? Ne nous y trompons pas, malgré quelques débordements, la « gronde » est plutôt pacifiste ; la négociation est recherchée.

Mais, l’absence de mixité sociale dans les quartiers parisiens, dans les Universités et les grandes écoles, comme dans les entreprises elles-mêmes, la jeunesse populaire, la première laissée sur le carreau de l’emploi craint qu’on ne la prive encore d’une chance d’intégration dans la vie active. C’est cette crainte qu’on ne lui vole une révolution du Code du travail annonciatrice d’horizons sociaux plus favorables à l’emploi, au seul bénéfice d’une satisfaction patronale ou syndicale, qui l’anime chaque nuit.

Les éléments de la Commune de 1871 sont là : la fracture entre gouvernant « d’Ancien régime » et jeunesse populaire s’accentue de plus en plus ; la défaite contre le chômage souffre de tant de « Sedan » ; les droits sociaux, s’ils sont une réalité pesante pour les PME, ne suffisent plus à apporter l’espérance légitime d’une jeunesse en quête de place dans la société professionnelle moderne. Le temps de travail, le travail clandestin, les bureaux de placement de la main d’œuvre, le « sous-salariat », autant de thèmes ayant conduit les communards à choisir la scission avec le Gouvernement conservateur de Versailles.

Gageons que la comparaison s’arrête là ; que le climat insurrectionnel de la jeunesse de France ne puisse conduire aux effusions de sang qui ont entaché la révolution prolétarienne de ce printemps 1871. Mais, la question du sacrifice se pose-t-elle encore en ces termes : la jeunesse ou l’entreprise ?