En application du règlement n° 4/2009 du 18 décembre 2008 en matière d’obligations alimentaires, il appartient au juge de l’État membre saisi de vérifier sa propre compétence avant de prononcer sa décision, sans que cette compétence puisse être contrôlée par la suite par un juge d’un autre État membre auquel est demandée la reconnaissance ou l’exécution de cette décision.
Civ. 1re, 25 mai 2016, FS-P+B+I, n° 15-21.407
Une juridiction du Royaume-Uni prononce un divorce et condamne l’ex-époux, qui est domicilié en France, à verser à une certaine somme à titre d’obligation alimentaire au bénéfice de l’ex-épouse. Par la suite, cette dernière saisit un juge français d’une demande de déclaration constatant la force exécutoire de la décision anglaise, sur le fondement du règlement (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires.
Ce règlement prévoit, dans le cadre de l’Union européenne, des règles de compétence afin de déterminer la juridiction compétente en matière d’obligations alimentaires. Sont ainsi notamment compétentes, dans l’Union, la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou la juridiction qui est compétente pour connaître d’une action relative à l’état des personnes ou à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action (art. 3).
De même, ce règlement prévoit les conditions de la reconnaissance, de la force exécutoire et de l’exécution des décisions prononcées dans les États membres.
Une distinction est opérée à ce sujet, selon qu’il s’agit d’une décision rendue dans un État membre lié ou non par le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Le régime applicable est alors différent dans l’un ou l’autre cas.
Dans l’affaire jugée par la première chambre civile le 25 mai 2016, c’est précisément cette question qui posait problème. Le Royaume-Uni n’étant pas partie au protocole de La Haye, il y avait donc lieu de faire application du régime défini par les articles 23 et suivants du règlement.
Ce régime est le suivant.
Selon l’article 23 du règlement, les décisions rendues dans un État membre non lié par le protocole de La Haye de 2007 sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L’article 24 précise toutefois qu’une décision n’est pas reconnue si : a) la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre dans lequel la reconnaissance est demandée, ce critère de l’ordre public ne peut être appliqué aux règles de compétence ; b) l’acte introductif d’instance n’a pas été signifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il ait pu se défendre ; c) elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre dans lequel la reconnaissance est demandée ; d) elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause, lorsque la décision rendue antérieurement réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre dans lequel la reconnaissance est demandée.
L’article 26 ajoute que dès lors qu’elles sont exécutoires dans l’État où elles ont été prononcées, ces décisions sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur demande de toute partie intéressée. Sous certaines conditions d’ordre procédural (art. 34), il peut y avoir refus ou une révocation de déclaration constatant la force exécutoire de la décision dans la mesure où l’une des conditions prévues par l’article 24, relatif à la reconnaissance, n’est pas respectée.
En l’espèce, l’ex-époux se fondait sur cet article 24 pour contester le fait que la décision prononcée au Royaume-Uni avait été déclarée exécutoire en France. Il faisait notamment valoir que son ex-épouse avait obtenu cette décision en se domiciliant fictivement en Angleterre, alors que son domicile était en réalité situé en France. Il en déduisait qu’il existait donc une fraude, qui devait conduire à considérer que cette décision était contraire à l’ordre public et ne pouvait donc pas produire d’effets en France.
Cette allégation fut écartée par les juges du fond, dont la décision est confirmée par la Cour de cassation.
Le rejet du pourvoi était inévitable, il est vrai.
L’article 10 prévoit en effet un mécanisme de vérification de compétence, selon l’expression utilisée par le règlement : la juridiction d’un État membre saisie d’une affaire pour laquelle elle n’est pas compétente en vertu du règlement se déclare d’office incompétente. Dès lors, le juge de l’Etat où la décision doit être reconnue ou exécutée n’a pas à vérifier la compétence du juge initialement saisi (en ce sens, E. Gallant, in L. Cadiet, E. Jeuland et S. Amrani-Mekki, (dir.), Droit processuel civil de l’Union européenne, LexisNexis, 2011, n° 335). Au surplus, l’appel fait par l’ex-époux à une éventuelle contrariété à l’ordre public était nécessairement inopérant compte tenu des termes mêmes de l’article 24. Ainsi qu’il l’a été indiqué plus haut, cet article indique expressément que le critère de l’ordre public ne peut être appliqué aux règles de compétence.
Si l’arrêt du 25 mai 2016 n’est pas de principe, il doit retenir l’attention des praticiens qui ne sont pas familiers des procédures familiales ayant des liens avec deux États de l’Union. Il fournit en effet une illustration concrète des conditions de reconnaissance et d’exécution des décisions prononcées à l’étranger et permet de rappeler qu’il existe, dans l’Union, un principe de confiance mutuelle et une volonté de faciliter la circulation des jugements, qui conduisent à réduire notablement les contrôles auxquels peuvent être soumises ces décisions.
par François Mélinle 14 juin 2016