Ne peuvent bénéficier de l’immunité de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, les discours ou écrits outrageants étrangers à la cause, et excédant les limites des droits de la défense. Le délit prévu par l’article 434-24 du Code pénal n’est constitué que lorsqu’il est établi que l’auteur des propos a voulu que ceux-ci soient rapportés à la personne visée.
Un individu poursuivi devant le tribunal correctionnel de Privas pour plusieurs infractions au Code rural, a déposé au greffe de la juridiction des conclusions écrites, dans lesquelles il accusait l’ancien procureur de la République de Privas, et la présidente de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Nîmes « d’agissements mafieux », et « d’appartenance à une association de malfaiteurs pervers et corrompus ». Poursuivi à raison de ces propos, du chef d’outrages à magistrats, au visa des articles 434-24 et 434-25 du Code pénal, il fut condamné à trois mois d’emprisonnement en première instance puis à 5 000 euros d’amende en appel.
Deux moyens sont examinés par la chambre criminelle : le premier tenant au bénéfice de l’immunité judiciaire du plaideur, le second aux éléments constitutifs de l’infraction d’outrage à magistrat.
L’article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Dans son pourvoi, le demandeur reprochaient aux juges du fond de ne pas lui avoir accordé le bénéfice de l’immunité judiciaire posée par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 lequel dispose que « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux […]. Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers ».
Rejetant l’argument, la Cour de cassation rappelle, que la seule limite de l’immunité de parole inscrite dans l’article 41 de la loi de 1881 est l’exclusion de son bénéfice lorsque les propos ou écrits s’avèrent étrangers à la cause et excédent les limites des droits de la défense (ex : Crim. 11 oct. 2005, n° 05-80.545). Tel était bien le cas en l’espèce. Les juges d’appel avaient justement retenu que « les propos du prévenu ont été proférés à l’occasion d’une procédure pour infraction aux dispositions du Code rural, qui a été le prétexte pour dénoncer l’acharnement judiciaire dont il disait être l’objet ; que ces accusations d’une extrême gravité, en ce qu’elles font référence à l’appartenance de deux magistrats à une organisation criminelle, sont totalement étrangères à la cause soumise au tribunal, et sont inutiles à la défense du prévenu pour les faits pour lesquels il était alors poursuivi, s’agissant uniquement d’exprimer une profonde rancœur et un mépris à l’égard de personnes à l’origine de précédentes condamnations ».
L’article 434-24 du Code pénal. Cet article réprime « l’outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l’envoi d’objets quelconques adressé à un magistrat, […] dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi ».
Ce délit suppose au titre de l’élément matériel des propos outranciers, irrespectueux et injurieux portant atteinte à la dignité et à l’honneur. Au titre de l’élément moral, l’intention d’outrager doit par ailleurs être établie. Outre la volonté du prévenu, est exigée la connaissance de l’outrage par le magistrat. Le Code pénal dispose en effet que l’outrage soit « adressé à un magistrat ». Cette connaissance peut être directe ou indirecte. Ces deux conditions sont cumulatives (V. Crim. 26 oct. 2010, n° 09-88.460).
En l’espèce, la chambre criminelle censure pour insuffisance de motifs. Si les juges du fond ont en effet pris le soin de caractériser l’élément matériel, ils n’ont pas « rechercher en quoi les propos litigieux, s’ils ne leur avaient pas été directement adressés, seraient nécessairement rapportés aux deux magistrats concernés ».
Crim. 8 septembre 2015, n° 14-84.380.
Références
■ Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Article 41
« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.
Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi.
Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.
Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. »
■ Code pénal
Article 434-24
« L’outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l’envoi d’objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Si l’outrage a lieu à l’audience d’une cour, d’un tribunal ou d’une formation juridictionnelle, la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. »
Article 434-25
« Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision.
Lorsque l’infraction est commise par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
L’action publique se prescrit par trois mois révolus, à compter du jour où l’infraction définie au présent article a été commise, si dans cet intervalle il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite. »
■ Crim. 11 oct. 2005, n° 05-80.545, D. 2006. 1272, note B. Beignier ; AJ Pénal 2005. 417.
■ Crim. 26 oct. 2010, n° 09-88.460, D. 2011. 570, note E. Dreyer ; AJ pénal 2011. 74, note G. Roussel.
Auteur : C. L.