Mesdames, Messieurs,
La vie d’un Bâtonnier est loin d’être un long fleuve tranquille.
Il comporte, en particulier, des moments difficiles comme celui que je vis aujourd’hui.
Enterrer un confrère, une consœur est une grosse blessure d’amour.
Enterrer Maître Chahrazade HILAL est une énorme affliction.
Cette blessure, cette affliction sont d’autant plus ressenties, qu’en plus de la profession que nous avions en partage, d’autres atomes crochus me rapprochent de la défunte.
Maître Chahrazade HILAL et moi-même, avons prêté serment ensemble, le 17 janvier 1986, dans une promotion qui comptait également Maîtres Abdou KANE, Ndèye Ndack LEYE, Macodou NDIAYE, Saer Lo THIAM, Prosper DJIBA, Makhfou DIOUF, Baïdalaye KANE, Issa DIOP, Mamadou GUEYE et Fatou Oumar NDIAYE.
Nous avons également partagé le même cabinet, pendant quelques mois, il y a de cela des décennies.
Je sais toutefois me consoler car je ne suis pas seul dans cette épreuve.
La disparition de Maître Chahrazade HILAL afflige, en effet, tous les membres de notre Barreau, la profession d’avocat en général, la famille judiciaire dans son ensemble.
Je n’en veux pour preuve que les multiples réactions surprises et éplorées que j’entends, que je vois, ou dont j’entends parler directement, ou indirectement dans les échanges téléphoniques, dans la presse ou sur les réseaux sociaux.
Je n’en veux pour preuve que la mobilisation de toute la compagnie judiciaire, qui aurait sans doute débordé les limites de ces lieux, si cette turbulente, contrariante et hélas morbide pandémie, ne s’était pas installée de façon impromptue et durable dans notre quotidien.
Maître HILAL est née le 22 mars 1962 à Dakar, d’un ascendant au premier degré, plus précisément son père, qui y est lui-même né, le 23 aout 1935.
Elle a fait toutes ses études au Sénégal, lesdites études étant couronnées par une maîtrise en droit privé « option judiciaire », obtenue le 02 novembre 1984 à la Faculté des sciences juridiques et économiques de l’Université de Dakar.
Elle a ensuite subi avec succès les épreuves du deuxième examen d’admission à l’Ordre des avocats, se classant deuxième, ce qui lui a permis d’obtenir l’inscription au stage, par arrêté du Conseil de l’Ordre en date du 31 décembre 1985.
Elle a effectué son stage au cabinet DANON, LO et KAMARA, aujourd’hui LO, KAMARA et DIOUF, avant d’être admise au Grand Tableau le 11 mai 1989, par arrêté du Conseil de l’Ordre, à la suite d’un rapport établi par notre excellent confrère Malick SALL, aujourd’hui Garde des Sceaux.
Maître HILAL a ensuite effectué des collaborations dans des cabinets, assuré avec brio et désintéressement la liquidation du cabinet de notre défunt confrère Hysam FARHAT, travaillé en association avec quelques-uns de nos confrères, comme Maîtres Mamadou Djiby DIALLO, Sahjanane AKDAR.
Le cabinet LO et Kamara et DIOUF qui fut jadis son nid, fut également son dernier lieu d’exercice de cette profession qu’elle quittait, en même temps que ce qui est presque une vallée de larmes, en ce jour fatidique du 04 juillet 2020.
Je ne pouvais donc trouver meilleure personne-ressource que l’un des membres de ce cabinet, Maître Malick DIOUF, pour ne pas le nommer, pour dire qui était l’avocate Chahrazade HILAL.
Voici ce qu’il m’apprend :
SHEHERAZADE, était la princesse, la reine, la comtesse des mille et une nuits.
Cette dame au grand cœur, aimée de tous, au péril de sa vie, se porta volontaire pour interrompre la randonnée criminelle d’un sultan qui épousait tous les jours une nouvelle femme qu’il tuait le lendemain.
Ses qualités de cœur et d’esprit la sauveront …
CHAHRAZADE aimait dire qu’elle était la princesse des mille et une nuits.
Quand on lui rappelait qu’il s’agissait tout simplement d’un récit, elle répliquait invariablement que « les récits foisonnent de héros et d’héroïnes toujours prêts à défendre la veuve et l’orphelin. »
Maître CHAHRAZADE HILAL est notre héroïne, pour avoir hérité des qualités de son illustre homonyme : ce grand cœur, cette bonté d’âme qui faisaient d’elle une grande dame et une grande avocate.
Elle a défendu la veuve, l’orphelin, l’indigent, sans attendre ni richesse, ni reconnaissance, car elle était déjà largement rémunérée, que dis-je, honorée par le sentiment du devoir accompli, par cet inextinguible désir d’aider son prochain.
Ainsi était CHAHRAZADE HILAL, l’Avocate, l’engagée, la teigneuse, celle qui n’abandonne jamais la cause des plus faibles.
Depuis sa prestation de serment, elle a emprunté cette voie si difficile et ne l’a jamais quittée.
Cette voie si naturelle pour une héroïne, dont l’ardeur et la passion pour sa profession d’avocat étaient sans pareilles, dont le dévouement à son Ordre est resté indéfectible.
Maître HILAL avait toujours des mots pour distiller la joie et la bonne humeur, pour dissiper nos appréhensions fiévreuses, pour interrompre nos errements bruyants et nos divagations silencieuses, lorsque, assis dans les salles et couloirs du Palais de Justice, nous attendions l’appel de nos affaires.
Tout cela nous manquera, tout comme nous manqueront tes plaintes, tes complaintes et tes colères.
Oui, Maître HILAL savait aussi piquer de grosses colères, les exprimer bruyamment car elle avait une qualité hélas rare de nos jours et sous nos cieux : elle ne cachait jamais son jeu, elle avait un caractère entier, une franchise et une honnêteté indéfectibles.
Elle était dans le compromis, jamais dans la compromission, elle savait être dans la démesure, jamais dans la demi-mesure.
Elle était toujours, comme à l’affût de cette invite solennelle : « si quelqu’un connait un empêchement à cette cause, qu’il le dise maintenant ou qu’il se taise à jamais ».
Elle préférait dire maintenant, à ses risques et périls, plutôt que de se taire à jamais, ce qui signifie quelques fois mourir avec ses brûlures endormies, ses frustrations enfouies.
Ses colères, j’ai dit ses colères, mais n’exagérons rien, car elle avait aussi le don, une fois la cause entendue, de tourner la page et d’afficher son air le plus aimable.
Elle avait, en effet, je le rappelle, un bon cœur.
Elle était aussi et surtout, j’allais l’oublier, d’une grande humilité.
Qui, mieux qu’elle savait verser dans l’autodérision, cultiver cette aptitude à reconnaître s’être trompée, ignorer son sujet, ou avoir tort sur le fond ?
Chahrazade HILAL était courageuse et combative, respectueuse dans la victoire et digne dans la défaite.
Tout cela faisait d’elle non pas notre consœur, mais une amie, une personne sympathique, qui nous rappelait qu’au-delà des dossiers et affaires qui nous opposent, nous demeurons les membres d’une même famille.
C’est ce souvenir que garderons de CHAHRAZADE HILAL, la joyeuse, celle qui aimait la vie, celle qui aimait les avocats, celle qui aimait sa famille, ses familles.
Qui ne connait pas MEHDI, son fils inconsolable ?
Qui n’a pas entendu CHAHRAZADE parler de son époux Hassan, de ses parents Khalil et Najatte, ces personnes qui lui étaient si chères, qui comptaient plus que tout pour elle ?
Parce qu’avant d’être avocate, CHAHRAZADE était une fille attachante, une brave femme, une mère affectueuse, une épouse dévouée, qui n’a jamais cessé de se battre pour le bonheur de sa famille, pour la paix et l’amour dans le monde.
Seule la mort pouvait interrompre son combat, ses combats.
Autant nous aimons la vie, autant la mort vient nous rappeler que nous ne sommes pas éternels.
Et comme disait un auteur, entre la vie et la mort, il n’y a qu’un pas.
Mais entre la tristesse et le bonheur, il y a une route infinie.
Maître Chahrazade HILAL, tu nous laisses tristes parce qu’orphelins, sevrés de tes coups de gueule, de tes cris d’amour, de ton hymne à la confraternité.
Tu vas nous sevrer de l’appel qu’en ce temps non encore révolu de confinement, tu aimais envoyer à nos cœurs sensibles : « Eh vous, ma famille, où êtes-vous ? Parlez-moi, vous me manquez ».
Toi aussi, tu nous manqueras, tu nous manqueras beaucoup, tu nous manqueras tellement que nous ne survivrons que grâce au bonheur de t’avoir connue.
Il me reste deux messages et une prière :
- A ta famille et à tous tes amis, j’adresse les sincères condoléances du Barreau du Sénégal
- A toi, je dis dors en paix et que la terre de Yoff te soit légère.
- DIEU TOUT PUISSANT et miséricordieux, je vous conjure de l’accueillir au Paradis, le seul endroit qu’elle mérite de fréquenter désormais.
Ce ne sera que justice.
Dakar, le 09 juillet 2020
Papa Laïty NDIAYE
Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal