L’élu sénégalais qui va de surprise en surprise

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Par Laurann Clément (Dakar) – LE MONDE AFRIQUE

Son parcours atypique, Magatte Wade le voit comme « un retour à la base ». Lorsque ce Sénégalais de 59 ans parle, même à la table d’un café, c’est droit dans les yeux, les gestes accompagnant le verbe, le regard profond, fort de ses convictions. Celles qu’il réserve à l’avenir de sa ville natale, Meckhé, à 100 km au nord-est de Dakar.

Meckhé est un carrefour commercial ouvert sur la mer et les terres fertiles des Niayes. Il y a grandi jusqu’au collège. À Dakar, il décroche son doctorat en lettres modernes, puis étudie les sciences et les techniques de la communication à Abidjan.

La progression est sans bavure jusqu’à devenir en 2001 chef de la communication de la Banque Africaine de Développement (BAD). En 2003, quand la rébellion des Forces Nouvelles gronde à Abidjan, il gère le déménagement de la Banque à Tunis.

Le rideau aurait pu tomber ici. Magatte Wade aurait pu finir sa carrière comme porte-parole et directeur de la communication et des relations extérieures du prestigieux établissement. Mais voilà qu’il quitte son poste en mars 2014. « C’est mon pari citoyen », sourit-il. Il adhère à l’Alliance pour la République (APR) du président sénégalais Macky Sall et remporte les élections de sa commune de Meckhé en juin 2014. Une reconversion unique dans l’histoire de l’institution : le haut fonctionnaire est devenu maire d’une commune de 30 000 habitants.

Le programme qui l’a porté dans les urnes a l’ambition d’une ville « moderne, propre, écolo ». En plus de ses convictions, l’ex-dirigeant de la BAD débarque dans sa ville natale avec un carnet d’adresse international et l’expérience des institutions. En théorie, de quoi aller bon train vers l’émergence. Sauf qu’une fois sur le terrain, rien ne se passe aussi simplement. « Moi qui ai eu la chance de participer à toutes les stratégies de développement, je vous le dis : il y a un fossé à combler entre la réalité du monde rural et les institutions. »

Huit surprises attendaient Magatte Wade lorsqu’il s’est assis dans son fauteuil de maire …

  1. Corruption de certains gérants. Une fois élu, le nouveau maire s’est retrouvé face à une équipe peu enthousiaste : « Je pensais qu’en disant “je veux que l’on soit ensemble pour développer Meckhé”, tout le monde allait participer. Ce n’est pas le cas : il y a des gens qui n’ont que des intérêts personnels ». La transparence et la gestion vertueuse, credo de la politique de Macky Sall, ne sont pas du goût de tous. « Si vous leur donnez le choix de partir avec l’argent de la ville et de la détruire ou de l’utiliser pour la ville, beaucoup diront : donne l’argent ! » dénonce Magatte Wade. Parmi les mécontents, des fonctionnaires, piochant facilement dans les caisses pour arrondir leurs revenus. Si le nouveau maire avance que ses collaborateurs ont compris le besoin de privilégier les intérêts de la ville, certains se sont éloignés, voire regrettent de lui avoir donné leur voix lors des élections.
  2. Le salaire des élus. Toutes proportions gardées, Magatte Wade gagnait à la BAD en un jour ce qu’il reçoit désormais chaque mois. « Mon salaire était deux fois supérieur aux recettes de ma commune ! » L’élu a vu son rythme de vie transformé. Il ne se plaint pas de son logement, mais a cessé les déplacements internationaux, les grands hôtels, les restaurants.
  3. Le développement, mais pas pour tout le monde. Quand on travaille dans les grandes institutions africaines, on parle de « développement » tous les jours, du matin au soir. À force, on imagine sans doute que tout le continent est occupé à se développer. En vérité, sur d’immenses étendues de territoire, il ne se passe rien. « Des gens dans les espaces ruraux sont exclus du développement. Ils ne se soucient que de leur survie quotidienne. Des villages n’ont pas accès à l’électricité, et doivent faire plusieurs kilomètres pour accéder à l’eau ». Magatte Wade a été surpris de voir les populations réputées pour leur générosité devenir individualistes, par la force des choses.
  4. Prêts mal ajustés pour les femmes et les petites communes. Le maire insiste sur l’importance d’insérer les femmes dans le paysage économique, et de leur faciliter les prêts pour accéder, notamment, à la propriété foncière, traditionnellement attribuée aux hommes. À son arrivée, Magatte Wade a estimé que les hommes détenaient 90 % des terrains. Emprunter n’est pas facile non plus pour une petite commune, même quand elle est dirigée par un ancien directeur de la BAD. « les villes ne sont pas souveraines de leur emprunt. » Souvent, les moyens faibles et irréguliers des communes expliquent la frilosité des organismes de prêt.
  5. Les caisses sont vides. À l’arrivée de Magatte Wade, le portefeuille de la ville ne dépassait pas les 8 000 euros. Les comptes accusaient davantage de pertes que de rentrées d’argent. Ses réajustements administratifs et sa gestion rigoureuse ont doublé le capital en six mois, avec plus de 20 000 euros au budget pour la rentrée 2015.
  6. Manque d’interconnexion entre les villes. « Meckhé est entourée de 323 villages, distants les uns des autres d’une moyenne de deux kilomètres. Aucune piste ne les relie. On parle d’intégration africaine entre les États, mais il faut également penser à relier les provinces, les villages, les marchés. » Centre des échanges de la région, Meckhé peine à rallier ses alentours, où se concentrent les élevages et l’agriculture. La ville elle-même, productrice de cuir, a besoin de liaisons routières pour sa santé économique.
  7. Plafonds trop bas, forages vétustes. « Il y a des écoles qui ont été financées. Une fois à l’intérieur, les enseignants ne peuvent même pas lever la tête ! » Si des experts sont en théorie responsables de superviser les projets, il est rare qu’en pratique quelqu’un soit là pour surveiller les chantiers subventionnés. Même problème dans l’agriculture, pôle central des plans de développement pour l’Afrique, où tout avance au ralenti. « Des forages ne fonctionnent plus, la gestion de l’eau est mauvaise. »
  8. Sens du travail. Il faut inciter les populations à s’impliquer : « Je travaille autant qu’avant, et mes collègues disent que je travaille trop. Mais pour qu’on atteigne des taux de croissance raisonnables, les Sénégalais doivent redoubler d’effort. Il faut un changement des mentalités et investir financièrement pour cette sensibilisation. C’est la communication qui change les hommes. » En premier lieu, le maire a changé le rythme de travail : à la mairie, chacun travaille désormais 10 heures par jour en moyenne, contre 4 auparavant.

Il reste cinq ans à Magatte Wade pour mener à bien son premier mandat en tant que maire de Meckhé. Cinq années durant lesquelles il veut non seulement tenter de redresser la situation, mais aussi écrire un mémorandum où il décrira, en tant qu’expert, autant les institutions financières que les réalités rurales. La version longue de cet article, en quelque sorte.

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