Le calvaire des étudiants de l’Université virtuelle du Sénégal

Lu pour vous
  • Par Laurence Caramel (Mbour (Sénégal), envoyée spéciale)
  • Le Monde.fr Le 23.07.2015 à 10h 47 – Mis à jour le 23.07.2015 à 13h 46

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Ne leur dites pas qu’ils sont les heureux élus d’un des projets les plus audacieux du pays. L’Université virtuelle du Sénégal (UVS) est pour eux synonyme d’une aventure mal préparée dont ils se sentent aujourd’hui les cobayes et peut-être demain les victimes.

Dans le couloir aux murs fraîchement repeints d’une villa aux formes désuètes de la petite ville côtière de Mbour, à 80 km au sud de Dakar, Serigne, 24 ans, attend de recevoir son ordinateur. La jeune fille, vêtue d’une longue robe jaune, avait imaginé autrement son entrée à l’université. « J’ai mon bac depuis un an et je n’ai pas choisi de venir ici. Mon rêve était de devenir professeur d’allemand en allant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Ils m’ont inscrite en sociologie », raconte-t-elle avec amertume.

Un ordinateur, une clé 3G et un tuteur en ligne

Mbour, plus connu pour son port de pêche, abrite un des douze Espaces numériques ouverts (ENO) qui composent les premières briques de l’université virtuelle que le gouvernement prévoit de déployer sur l’ensemble du territoire pour pallier au manque d’établissements face au nombre croissant de bacheliers. Pour l’instant, les villes retenues se concentrent le long du littoral pour pouvoir bénéficier du réseau de fibre optique de l’Agence de l’informatique de l’Etat.

L’UVS a été lancée en septembre 2013 et après une première promotion de 2 000 étudiants en 2014, 5 000 autres bacheliers y ont été affectés cette année. Cinq filières sont proposées : droit, sciences économiques, mathématiques, sociologie et anglais.

Pas de professeurs « en chair et en os », pas de salles de cours, pas de livres mais un ordinateur – fortement subventionné – et une clé 3G pour accéder à une plate-forme en ligne où sont postés les cours, une bibliothèque virtuelle et où les étudiants peuvent échanger avec des tuteurs et leurs congénères. Deux heures par semaine, ces tuteurs qui ont la charge de 30 étudiants doivent être « en direct » au bout du réseau.

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Seul point d’ancrage physique de ce système d’enseignement à distance, les ENO dont la plaquette de l’étudiant promet qu’ils seront « un espace de socialisation dans lequel les étudiants trouveront les appuis nécessaires en cas de difficultés ». Un endroit équipé « en ordinateurs, en matériel de visioconférence, imprimantes, photocopieuses, salles d’étude, espaces de détente… ».

A Mbour, la villa crème plantée au milieu d’un quartier excentré de la ville, dans une ruelle de sable, est loin des promesses. « C’est peut-être provisoire mais ici, c’est une maison, ce n’est pas une université. Il fait chaud, il n’y a pas de place. Nous avons deux chambres avec des tables et de l’électricité pour salles de classe », se désole Adama Biteye, étudiante en droit en montrant un groupe de jeunes gens entassés dans une petite pièce. Environ 400 étudiants sont inscrits à Mbour.

Cheveux courts et ton décidé, elle non plus n’a pas choisi l’UVS. Elle voulait faire « sociologie, géographie ou philo », mais puisqu’on l’oblige à faire droit, elle rêve désormais de devenir avocate pour « défendre les étudiants de l’UVS ». « Je souffre ici. J’ai eu mon bac en 2013 et en juillet 2015, nous n’avons même pas terminé une année. C’est injuste. On nous a mis en prison ».

Adama habite à 28 kilomètres mais elle vient chaque jour ici. En route, la fille de commerçante vent des déodorants, des rouges à lèvres et des pacotilles pour couvrir les frais du trajet.

« Rester seule toute la journée devant mon ordinateur, c’est trop dur. J’ai l’habitude d’aller à l’école et puis mes parents ne comprennent pas ce que je fais. Ils pensent que je ne travaille pas ».

La plupart de ses camarades font comme elle. La qualité des cours n’est pas mise en cause mais sans professeurs pour les guider, ils se sentent tout simplement, « largués », « perdus ». « Les tuteurs ne sont pas toujours connectés et ils ne sont pas assez nombreux pour corriger les travaux dirigés », poursuit la jeune fille en expliquant qu’une vingtaine d’étudiants ont décidé de « se cotiser pour faire venir de Dakar, deux fois par semaine, un professeur de sciences juridique et politique ». Depuis octobre, ils paient 3 000 francs CFA (4,50 euros) par mois chacun, soit au total autant que les frais d’inscription à l’UVS pour une année. Ils n’en veulent pas à « ceux qui travaillent à l’ENO. Ils font ce qu’ils peuvent. La faute est à Dakar ».

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Mais la colère ne gronde pas seulement à Mbour. « Les étudiants des autres ENO font face aux mêmes problèmes que nous » assure Saliou Dieng, président du collectif des étudiants de Mbour. « Tous les soirs, nous nous retrouvons sur Facebook pour discuter », explique le jeune homme de 22 ans orienté en sociologie contre son gré.

Surpopulation étudiante et manque de bâtiments

A Dakar, le coordonnateur de l’UVS, Mahamadou Mansour Faye, confirme que « l’objectif était de démarrer très vite ». Installé lui aussi dans des locaux provisoires en attendant la construction du siège définitif dans la ville nouvelle de Diamniadio, il promet que « les étudiants termineront leur licence dans les temps ». L’Etat doit gérer la surpopulation des universités et ne peut se permettre de perdre du temps :

« Plus de 30 000 nouveaux bacheliers frappent chaque année aux portes des universités dont les capacités d’accueil sont saturées. L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar frôle les 80 000 inscrits pour 50 000 places et la grande vague du tsunami n’est pas encore arrivée. Il faut agir »

Face à l’écran de son ordinateur sur lequel s’affichent toutes les données de connexions à l’UVS – présence des étudiants, assiduité des tuteurs, fréquentation des forums… – le directeur reconnaît que « les étudiants doivent être solides » pour s’adapter à l’enseignement à distance. D’où ces cours – avec de « vrais » professeurs cette fois – de leadership, de développement personnel et de techniques d’expression que les étudiants reçoivent pendant quelques semaines avant de faire le grand saut.

A Mbour, la timide Serigne dit y « avoir appris sur l’échec et le succès. Mieux comprendre aussi ce que veut dire être autonome ». Son ordinateur à la main, initiée aux rudiments des nouvelles technologies, elle s’apprête à retourner dans son village, avec la volonté de faire ce que lui ont conseillé les anciens : « essayer de s’adapter ». En attendant, un jour peut-être, de faire des études d’allemand.

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