L’annulation du premier mariage gay n’était pas contraire aux droits de l’homme

Lu pour vous

Les États signataires demeurent libres de n’ouvrir le mariage qu’aux couples hétérosexuels.

CEDH 9 juin 2016, Chapin et Charpentier c. France, req. n° 40183/07

One groom placing the ring on another man's finger during gay wedding.

One groom placing the ring on another man’s finger during gay wedding.

Pour comprendre l’arrêt Chapin et Charpentier, il faut se replacer avant l’adoption de la loi « Taubira » n° 2013-404 du 17 mai 2013 qui permet désormais aux couples homosexuels de se marier en France. Le 5 mai 2004, le maire de la commune de Bègles, Noël Mamère, célèbre en grande pompe et enregistre à l’état civil le mariage d’un couple d’hommes. Contra legem, cette union a été logiquement annulée en appel puis en cassation le 13 mars 2007 (Civ. 1re, 13 mars 2007, n° 05-16.627, D. 2007. 1389 , rapp. G. Pluyette  ; ibid. 935, obs. I. Gallmeister  ; ibid. 1375, point de vue H. Fulchiron  ; ibid. 1395, note E. Agostini ). Le couple a donc souhaité élever la contestation devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2007. Ils soutenaient, en effet, avoir fait l’objet d’une discrimination sexuelle par l’État français qui les aurait privés du bénéfice du droit au mariage pourtant garanti par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme (pt 33, § 1).

Pour rejeter la requête, la CEDH finit par adopter neuf ans plus tard, un raisonnement en deux temps. Elle s’appuie, d’une part, sur sa propre jurisprudence en estimant que faute de consensus européen, les États ne sont pas tenus d’accorder un droit au mariage aux couples homosexuels à qui elle concède, d’autre part, un droit à une reconnaissance civile dont la forme juridique est laissée à la discrétion des États, bénéficiaires à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (pt 48).

L’absence de droit au mariage faute de consensus européen

Le gouvernement français invoquait à juste titre la jurisprudence bien connue Schalf et Kopf du 24 juin 2010 (V. CEDH 24 juin 2010, req. n° 30141/04, Schalk, Kopf c. Autriche, Dalloz actualité, 31 août 2010, obs. C. Le Douaron  ; ibid. 17 déc. 2010, obs. C. Fleuriot  ; D. 2011. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau  ; RTD civ. 2010. 738, obs. J.-P. Marguénaud  ; ibid. 765, obs. J. Hauser ) qui n’imposait aucune obligation d’ouvrir le mariage à un couple homosexuel (pt 33, § 2). C’est bien ce qu’a reconnu la CEDH qui « réitère cette conclusion », en rappelant que l’article 12 de la Convention ne saurait être compris comme créant une véritable obligation aux États (pt 37).

Dès lors, la CEDH ne voit « aucune raison » d’arriver à une conclusion différente, nonobstant l’entrée en vigueur de la loi « Taubira » depuis l’introduction de la requête (pt 39). De même, la Cour adopte la même lecture des articles 8 et 14, en décidant qu’aucun consensus européen ne s’est formé sur cette question.

Pour l’heure, on voit mal comment la CEDH pouvait aussi emprunter une autre voie et reconnaître l’existence d’un consensus européen depuis l’annulation du mariage en cause. Pour rappel, treize États signataires autorisent aujourd’hui le droit au mariage mais seulement trois avaient ouvert ce droit avant 2007 (Les Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne). Néanmoins, et c’est là l’apport majeur de l’arrêt, la Cour concède aux États en cause une « marge d’appréciation » dans la forme juridique de reconnaissance à adopter pour les couples de même sexe.

Un droit à l’union civile

Soutenir qu’aucune violation des droits de l’homme n’est encourue si un État n’ouvre pas le mariage aux couples de même sexe ne signifie plus que l’État peut s’abstenir d’accorder une reconnaissance juridique à ces couples, dont la Cour admet ici qu’ils doivent bénéficier d’un statut juridique. Seule la forme est laissée à la discrétion des pays.

C’est sur cette base que la Cour constate qu’à l’époque des faits, « les requérants pouvaient conclure un pacte civil de solidarité » (pt 49). Cette assise n’est certes pas nouvelle, l’arrêt du 21 juillet 2015,Oliari contre Italie, avait déjà reconnu que l’absence d’union civile entrait en violation du droit à la vie privée (V., notre analyse, sous l’arrêt CEDH 21 juill. 2015, n° 18766/11, Oliari c. Italie, Dalloz actualité, 30 juill. 2015, nos obs.  ; D. 2015. 2160, et les obs. , note H. Fulchiron  ; ibid. 2016. 674, obs. M. Douchy-Oudot  ; ibid. 915, obs. REGINE ).

Il semble que la Cour œuvre à petits pas sur cette question. Maître Mécary, avocate des deux requérants, a manifesté son regret, soulignant que « la Cour n’est pas encore prête à juger que l’absence d’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe constitue une discrimination ».

Site de la Cour européenne des droits de l’homme

par Thomas Coustet le 14 juin 2016