L’acte de procédure d’avocat : cet inconnu du droit ?

Lu pour vous

Le rapport Delmas-Goyon, remis au ministère de la Justice en décembre 2013 sur la justice du xxie siècle, faisait état de la nécessité de repenser le procès civil. Il faut dépasser la dichotomie de la procédure inquisitoire et accusatoire, accorder un rôle plus actif aux parties et à leurs représentants. La philosophie participative qui précède l’instance, notamment par le biais de la convention de procédure participative (C. civ., art. 2062 et s.), doit se poursuivre au cours de l’instance. Pour ce faire, il faut « un support juridique permettant de matérialiser les diligences accomplies. C’est l’acte de procédure d’avocat » (Rapport, p. 79). S’appuyant sur ce rapport, un projet de décret a été récemment adressé à la ministre de la Justice par un groupe de travail. Revenons rapidement sur la cause efficiente de cet acte de procédure d’avocat, ses origines et sur la cause finaliste de cet acte, les fonctions qu’on lui attribue.

L’acte de procédure d’avocat était défini par la proposition n° 26 du rapport Delmas-Goyon comme un « acte d’administration de la preuve contradictoirement accompli par les avocats des parties, nécessairement consentantes ». L’objectif affiché est de redonner, dans le domaine probatoire qui est le cœur du procès, un rôle actif aux parties. De cette manière, les mesures d’instruction demandées à, ou diligentées par le juge seront moins nombreuses. Le coût et la durée du procès seront réduits en conséquence. Cet accord sur la preuve devrait accélérer le procès sans pour autant réduire le temps de travail des avocats qui ne se limiteront pas à un échange d’écritures mais devront trouver un accord probatoire et s’assurer de sa mise en œuvre.

Cet acte de procédure d’avocat trouve son impulsion, en amont, dans la mise en place de la convention de procédure participative mais il trouve en aval une raison d’être supplémentaire avec le nouveau décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends. Le décret crée, notamment, un nouvel alinéa à l’article 56 du Code de procédure civile : « Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » (même chose à l’article 58 pour les requêtes et déclarations). L’acte de procédure d’avocat pouvant intervenir avant la saisine du juge pourrait correspondre à ces « diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».

Aujourd’hui, l’avenir de l’acte de procédure d’avocat réside dans un projet de décret réalisé par un groupe de travail composé de magistrats, d’avocats et d’un professeur d’université sous la présidence de Renaud Le Breton de Vannoise, président du tribunal de grande instance de Pontoise, projet déposé au ministère de la Justice. Ce décret formule dans un texte les objectifs décrits par le rapport Delmas-Goyon. Ce projet de décret, s’il aboutit, devrait figurer au Livre Ier du Code de procédure civile, dans un titre VII bis qui suivra le titre VII consacré à l’administration de la preuve (C. pr. civ., art. 322 à 322-10 pour l’essentiel).

En quoi consiste ce futur acte de procédure d’avocat ?

Le projet de décret définit l’acte d’avocat comme « un acte signé par les avocats des parties à un litige ayant ou non donné lieu à la saisine d’une juridiction, visant à définir l’objet de la preuve et à administrer celle-ci, conjointement et de bonne foi ». Sa fonction immédiate est donc de nature probatoire. Cet acte constitue plus un processus qu’un acte statique. L’objectif est de procéder à une forme de « punctation probatoire » et de délimiter les éléments probatoires et leur mode d’administration au fur et à mesure de l’état d’avancement du litige, avant le procès et/ou en cours de procès. Les parties vont pouvoir se mettre d’accord sur l’objet du litige et sur les preuves établies ou à établir. L’acte de procédure peut prendre la forme d’une succession d’actes isolés poursuivant le même but ou la forme d’un acte-cadre suivi de plusieurs actes d’application à l’instar du contrat-cadre qui servirait de socle fondamental à l’ensemble des contrats d’application.

Se mettre d’accord sur ce qui sera débattu et sur les éléments de fait confirme que la finalité du procès n’est pas tant de rechercher La Vérité mais de rechercher une solution juste, c’est-à-dire une solution, sinon acceptée, du moins acceptable par les parties, justice de près, et par les justiciables, justice de loin (P. Ricoeur). L’acte de procédure d’avocat peut y aider mais de quelle manière ?

L’acte d’avocat est une convention sur la preuve. Sa validité est d’autant moins contestable que le futur article 1357 du Code civil, proposé par le projet d’ordonnance portant réforme du droit des obligations, prévoit que « Les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ». L’alinéa 2 ajoute que « Néanmoins, ils ne peuvent contredire les présomptions établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable attachée à ses propres écritures ». L’acte d’avocat aurait quatre fonctions essentielles. Il peut servir à opérer des constatations matérielles sur les lieux, éventuellement en présence d’un sachant dont l’intervention sera actée dans un procès-verbal de constatation. Il peut servir à certifier des pièces détenues par les parties ou par les tiers. Il peut s’agir d’actes d’enquête : auditions des parties, auditions de témoins par avocats. Il peut enfin prendre la forme d’actes de désignation d’un sachant ou d’un médiateur judiciaire.

Reste alors à se demander quelle force probante il faut attacher à cet acte. S’agit-il d’un simple acte sous seing privé ? Peut-il prendre la forme d’un acte contresigné par un avocat (L. n° 71-1130 du 31 déc. 1971, art. 66-3-1 à 66-3-3) ? Peut-on et doit-on associer un notaire pour qu’il authentifie l’acte ainsi établi d’un commun accord entre les parties par l’intermédiaire de leurs avocats ? Il est important de déterminer la force de cet acte afin d’apprécier le degré de sécurité qu’il offre aux parties. Le risque, en effet, est que le contentieux se déplace et que la validité et la régularité de l’acte de procédure d’avocat soient à l’origine d’un nouveau contentieux.

Au-delà de cette fonction probatoire immédiate, l’acte d’avocat remplit une fonction médiate en lien avec la nouvelle philosophie prônée par les instances politiques. Il s’agit de la fameuse Justice du xxie siècle qui se veut moins coûteuse, plus rapide, plus amiable. Le juge doit être un ultime recours et la décision de justice, une ultime mesure. Finalement, l’acte de procédure d’avocat est un maillon de la chaîne de résolution amiable des différends. En concluant ces actes de procédure d’avocat, l’objectif est de renouer le dialogue. La transparence probatoire qui en découle devrait, à l’instar des Pre-Action Protocols, inciter les parties à trouver une solution amiable.

Cet acte de procédure amène alors à s’interroger sur les valeurs qu’il véhicule. N’est-ce pas une nouvelle illustration d’une gouvernance par les nombres (A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Fayard, 2015), où les réformes sont écrasées par les contraintes budgétaires ? Ne s’agit-il pas d’une nouvelle manifestation d’une privatisation à outrance de la justice ? N’encourage-t-on pas une concurrence entre les professions, car la division du travail social avec les huissiers pourrait être menacée par l’acte de procédure d’avocat ? Enfin, ne risque-on pas d’avoir une justice à deux vitesses : les petits procès essentiellement visés par l’acte de procédure d’avocat et les procès « plus importants » que les parties ont les moyens d’assumer financièrement ? Il faut donc se méfier des nouveautés et « légiférer en tremblant » (J. Carbonnier). Car, comme le disait Portalis lors de son Discours préliminaire : « il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ».

Auteur : Mustapha Mekki