L’autorité de la chose jugée au pénal, attachée à une relaxe du chef de tromperie sur les qualités substantielles de la chose vendue, ne constitue pas un obstacle à l’exercice, devant le juge civil, d’une action indemnitaire fondée sur la non-conformité de la chose délivrée, faute contractuelle distincte de la faute pénale en ce que, même non intentionnelle, elle est objectivement constituée par la délivrance d’une chose qui n’est pas conforme à celle commandée.
Un dirigeant de société avait été poursuivi du chef de tromperie sur la nature et les qualités substantielles de marchandises après avoir vendu à un gynécologue un échographe numérique sans lui avoir explicitement précisé qu’il s’agissait d’un matériel d’occasion. Il avait été relaxé par un jugement correctionnel, devenu définitif, au motif que les faits n’étaient pas établis.
Assignée en réparation en raison du défaut de conformité de l’appareil aux caractéristiques convenues, la société avait soulevé une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ; selon elle, son dirigeant ayant été relaxé, l’action portée devant le juge civil n’était plus, en conséquence, recevable.
La cour d’appel accueillit au contraire la demande indemnitaire du gynécologue pour défaut de conformité au motif que l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de relaxe faisait seulement obstacle à ce que l’appelant puisse invoquer un dol devant les juridictions civiles, cependant qu’il invoquait devant elle un défaut de conformité de l’appareil vendu à la commande.
La société forma un pourvoi en cassation au moyen duquel elle soutint, à l’appui de l’article 1351 du Code civil, que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence d’un fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale et qu’en conséquence, le défendeur ne pouvait plus prétendre qu’il ne lui avait pas été indiqué, au moment de la vente, qu’il achetait un matériel d’occasion.
Son pourvoi est rejeté par la première chambre civile, affirmant que l’autorité de la chose jugée attachée à une relaxe du chef de tromperie sur les qualités substantielles ne constitue pas un obstacle à l’exercice, devant le juge civil, d’une action indemnitaire fondée sur la non-conformité de la chose délivrée, faute contractuelle qui, procédant d’une obligation de résultat, diffère de la faute pénale en ce que, hors toute absence de dissimulation fautive du vendeur, elle est fondée sur la délivrance d’une chose qui n’est pas conforme à celle commandée, au sens de l’article 1604 du Code civil. Partant, après avoir relevé que si la relaxe du chef de tromperie faisait obstacle à ce que l’acquéreur puisse, devant les juridictions civiles, invoquer un dol ayant vicié son consentement, tel n’était pas le fondement de sa demande de réparation reposant sur un défaut de conformité à la commande du matériel livré, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action dont elle était saisie était recevable.
La solution rendue par la Cour se comprend tout d’abord au regard de l’objet de la demande formée par l’acquéreur en appel. En effet, l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de relaxe du dirigeant de la société du chef de tromperie devait bien faire obstacle à ce que l’acquéreur puisse ensuite invoquer, devant les juridictions civiles, un dol ayant vicié son consentement. Caractérisé par l’intention de tromper son cocontractant, un tel vice n’aurait plus pu, en conséquence du jugement pénal, être reconnu, et l’action ainsi fondée aurait été jugée irrecevable. Cependant, tel n’était pas le fondement de l’action formée par l’acquéreur devant les juges du fond puisqu’à l’appui de sa demande en indemnisation, il invoquait un défaut objectif de conformité de l’appareil vendu à la commande, en sorte qu’il était bien recevable à rechercher la responsabilité contractuelle de la société. Obligation principale du vendeur, la délivrance conforme vise à garantir à l’acquéreur l’identité de la chose livrée à la chose promise (C. civ., art. 1604). Contrairement au vice caché, lequel s’entend d’un défaut rendant la chose impropre à son usage indépendamment des prévisions contractuelles, le défaut de conformité s’apprécie en fonction des termes du contrat. Le critère ne repose pas sur la qualité de la chose vendue, comme pour la garantie des vices cachés, mais sur l’identité de la chose délivrée aux stipulations contractuelles.
Or en l’espèce, ressortait de l’examen par les juges du fond des éléments versés aux débats un défaut de conformité de l’appareil livré, lequel ne correspondait pas au modèle neuf commandé par l’acheteur. La faute contractuelle de la société, même non intentionnelle devait donc être sanctionnée : en effet, à la différence de la faute pénale ou dol, lequel constitue un délit civil, l’intentionnalité n’est pas un critère d’appréciation de la faute contractuelle résultant du manquement par le vendeur à son obligation de délivrance conforme. Ce n’est donc pas toujours l’intention qui compte…
Auteur : M. H.