La Cour africaine ordonne réparation et dommages et intérêts en l’affaire du journaliste assassiné

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par Dr. Chidi Odinkalu
Membre du PALU et Juriste à l’Open Society Justice Initiative

Cela fait maintenant 17 ans que Norbert Zongo, grand journaliste d’investigation et Editeur a été assassiné au Burkina Faso- un événement qui a suscité des protestations contre le chef d’État militaire d’alors du pays, Blaise Compaoré. À ce jour, l’affaire demeure non résolue, même si elle reste emblématique de la violence qui menace encore les journalistes en Afrique et dans le monde.

Mais ce mois-ci, la longue quête de responsabilité dans l’assassinat de Norbert Zongo a marqué une victoire importante devant le tribunal régional encore naissant des droits de l’homme de l’Afrique, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Le 5 juin, la Cour a ordonné au gouvernement du Burkina Faso de rouvrir l’enquête sur l’assassinat de Zongo et de trois autres, et de payer des dommages totalisant plus d’un million de dollars aux familles des victimes. Elle a également ordonné au Burkina Faso de prendre des mesures pour prévenir la récurrence de telles violations, et de lui faire rapport dans un délai de six mois de l’état de mise en œuvre de l’arrêt.

Ce sont les mesures les plus étendues de réparation jamais prises en considération ou émises par la Cour africaine. L’arrêt Zongo représente le deuxième cas seulement dans la vie décennale de la Cour où une demande en réparation a abouti (l’autre concerne un arrêt de 2013 sur la conduite des élections en Tanzanie).

L’arrêt de la Cour sur les réparations dans l’affaire Zongo est la suite de ses conclusions de mars 2014 indiquant que le Burkina Faso avait violé la Charte africaine des droits de homme et des peuples lorsqu’il a manqué à son obligation d’enquêter diligemment sur l’assassinat de Zongo en vue de retrouver ses assassins et de les traduire en justice. La Cour a également conclu que le Burkina Faso avait violé l’obligation de protéger les droits fondamentaux des journalistes en vertu du Traité Révisé de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Suite à ces conclusions, les juges ont invité les parties à présenter leurs arguments sur la question des voies de recours et des réparations pour les violations constatées. Au cours de l’année suivante, jusqu’au mois de mars 2015, la Cour a reçu les éléments de preuve des parties sur la question des réparations.

L’histoire de cette affaire remonte à 17 ans environ. Le 13 décembre 1998, des passants ont trouvé quatre corps dans l’épave complètement brûlée d’une voiture à Sapouy, une contrée à environ 100 kilomètres de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Les corps seraient plus tard identifiés comme étant ceux de Norbert Zongo et de son frère Ernest, de Blaise Ilboudo, un autre membre du personnel de l’hebdomadaire L’Indépendant de Zongo, et leur chauffeur, Ablassé Nikiema.

À cette époque, Zongo se préparait à publier un article fondé sur l’enquête qu’il menait sur l’assassinat non résolue commis environ deux ans plus tôt de David Ouédraogo, ancien chauffeur de François Compaoré, frère cadet du président. L’article alléguait que Ouédraogo avait été torturé à mort pour avoir volé des sommes considérables d’argent du domicile de François Compaoré.

L’assassinat de Zongo en décembre 1998 a marqué le summum de l’arbitraire caractérisant la dictature de l’ancien président Compaoré. Zongo était le meilleur journaliste d’investigation du Burkina Faso, et était également l’éditeur de L’Indépendant ; son assassinat a occasionné des troubles massifs au Burkina Faso.

Le gouvernement a d’abord réagi en créant une commission d’enquête, qui a identifié six suspects et recommandé qu’ils soient traduits en justice. En fin de compte, un seul d’entre eux, Marcel Kafando, un adjudant de la garde présidentielle, a été inculpé, pour être ensuite blanchi.

En 2006, le gouvernement a décidé d’arrêter la recherche des assassins de Norbert Zongo, citant le manque de preuves. Par coïncidence, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, créée à Ouagadougou en juin 1998, a commencé à être opérationnelle à Arusha, en Tanzanie, la même année où le gouvernement du Burkina Faso a clos son enquête.

Le Burkina Faso avait à cette époque accepté la compétence de la Cour africaine. En 2011, la femme de Zongo, Geneviève, et ses enfants, aidés par l’organisation non-gouvernementale, le Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP), a demandé une assistance judiciaire pour porter leur quête de justice devant la Cour africaine en Arusha.

Dans son arrêt pris ce mois-ci, la Cour a commencé en affirmant que dans le système de droit de l’homme africain, l’État a le devoir de garantir des réparations là où il y a violation des droits de l’homme. Elle a également estimé que de telles mesures devraient offrir aux victimes des « mesures visant à éliminer les conséquences des violations commises». Dans le cas d’espèce, la Cour a déclaré que les victimes étaient les conjoints, les enfants et les parents de Norbert Zongo et ses trois collègues assassinés.

La Cour a ordonné au Burkina Faso de prendre une série de mesures en réparation des assassinats. Premièrement, par une majorité de 10 juges pour et un juge contre, elle a ordonné la réouverture de l’enquête. Deuxièmement, elle a ordonné le paiement de dommages totalisant plus d’un million de dollars en faveur de 14 victimes désignées dont l’épouse, la mère et les enfants de Norbert Zongo. Troisièmement, afin de garantir la non-répétition de violations similaires à l’avenir, la Cour a également ordonné au Burkina Faso de publier « le résumé en français de l’arrêt préparé par le Greffe de la Cour, une fois dans le journal officiel et une fois dans un quotidien national de large diffusion ; le même résumé sur un site Internet officiel de l’État défendeur, et l’y maintenir pendant un an » ; Quatrièmement, le Burkina Faso doit également « lui soumettre, dans un délai de six (6) mois, un rapport sur l’état d’exécution de l’ensemble des décisions prises dans le présent arrêt ».

Dans la foulée de la décision, les représentants légaux des victimes vont travailler avec les autorités de la Cour africaine et le Burkina Faso pour assurer l’application de l’arrêt de la Cour. La probabilité qu’il soit respecté est soutenue par le renversement par un soulèvement populaire en octobre 2014, de Compaoré dont le régime bloquait la recherche des responsables de l’assassinat.

Le banc complet des 11 juges de la Cour africaine de la Cour a siégé et voté l’arrêt. Les victimes étaient représentées par Maîtres Chidi Odinkalu et Ibrahima Kane, tous deux de Open Society Foundations (OSF) ; Donald Deya de l’Union panafricaine des avocats (PALU/UPA) ; et Sankara Bénéwendé, avocat de renom du MBDHP au Burkina Faso.

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