Illégalité de la transmission d’une décision de justice à l’Ordre national des médecins à titre de peine complémentaire

Lu pour vous

Le prononcé d’une condamnation pour agression sexuelle ne peut s’accompagner de la transmission de la décision à l’Ordre national des médecins, mesure qui ne constitue ni une peine, ni une condamnation civile et qui n’est pas légalement prévue.

Crim. 25 mai 2016, F-P+B, n° 15-81.511

Poursuivi du chef d’agression sexuelle aggravée, le prévenu excipe devant la juridiction de jugement de la prescription de l’action publique relativement aux faits les plus anciens commis le 1er janvier 1987. Il est débouté en première instance puis en appel, et condamné en définitive à trente mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à la transmission de la décision à l’Ordre national des médecins. Pour les juges de seconde instance, le dépôt de plainte de la victime intervenu le 30 juin 2008 précède le terme de la prescription de l’action publique. En effet, la loi du 10 juillet 1989, celle du 17 juin 1998 ainsi que celle du 10 mars 2004, toutes d’application immédiate, ont eu successivement pour effet de repousser le terme de la prescription, qui n’était pas encore advenu à la date de leur entrée en vigueur. Le nouveau terme, fixé en vertu de la loi du 10 mars 2004 au 1er octobre 2016, est donc bien postérieur à la date du dépôt de plainte. À l’appui de son pourvoi, le prévenu conteste, d’une part, cet allongement, d’autre part, la caractérisation de l’infraction principale au moyen d’éléments constitutifs propres à ses circonstances aggravantes, et de dernière part, la communication de la décision à l’Ordre national des médecins. Quant au premier moyen, l’exception de non-rétroactivité des lois de prescription plus sévères en vigueur à l’époque de la loi du 17 juin 1998 s’opposerait à l’application immédiate des nouvelles dispositions défavorables au mis en cause. Ainsi, le nouveau terme de prescription relativement aux infractions des articles 222-30 et 227-26 du code pénal fixé à dix ans à compter de la majorité de la victime est inapplicables aux faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. Quant au second moyen, le prévenu conteste la caractérisation de la contrainte subie par la victime par le seul truchement d’éléments propres aux circonstances aggravantes du délit en cause, à savoir la différence d’âge entre auteur et victime et l’autorité exercée sur cette dernière. Quant, enfin, au dernier moyen, le demandeur reproche à l’arrêt d’avoir prononcé une mesure non-prévue par la loi. Seul ce dernier moyen est accueilli par la chambre criminelle qui constate, au visa de l’article 485, alinéa 3, du code de procédure pénale, que l’ordre de transmettre la décision à l’Ordre national des médecins ne constitue ni une peine, ni une condamnation civile et n’est pas légalement prévue. Elle confirme, en revanche, l’arrêt d’appel dans le reste de ses dispositions.

Le présent arrêt, qui se prononce sans surprise dans le sens de l’illégalité de la transmission d’une décision de justice à l’Ordre national des médecins à titre de peine complémentaire, constitue par ailleurs une occasion de revenir sur le problème, complexe, de l’application dans le temps des lois relatives à la prescription de l’action publique. Relativement à des faits dont les plus anciens remontent au 1er janvier 1987, c’est d’abord la question de l’application de la loi du 10 juillet 1989 qui est en jeu. La jurisprudence de l’époque décidait que les lois de prescriptions étaient applicables à toutes les actions nées avant la date de leur promulgation et non-encore prescrites (Crim. 12 mai 1959, Bull. crim. n° 260 ; 4 oct. 1982, n° 81-35.003, Bull. crim. n° 204). Au 14 juillet 1989, date d’entrée en vigueur de la loi précédemment citée, la prescription triennale de droit commun gouvernant alors la prescription des faits commis n’était pas acquise. La nouvelle loi était donc d’application immédiate, et eût pour effet de repousser le point de départ de la prescription à la date de la majorité de la victime, à savoir le 1er octobre 1999. Une nouvelle réforme, modifiant le délai de prescription pour les agressions sexuelles, intervint le 17 juin 1998 pour venir le fixer à dix ans à compter de la majorité de la victime. Entretemps, le nouveau code pénal était entré en vigueur, et avec lui l’article 112-2 dans sa rédaction originelle. Selon ce dernier « sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : […] 4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines, sauf quand elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé ». C’est sur cette exception à l’application immédiate des lois de prescription que se cristallise le litige, et plus précisément sur l’interprétation de l’article 50 de la loi du 17 juin 1998, selon lequel « les dispositions des articles 7 et 8 du code de procédure pénale dans leur rédaction résultant des articles 25 et 26 de la présente loi sont applicables aux infractions non encore prescrites lors de l’entrée en vigueur de la présente loi ». Pour la cour d’appel, il déroge expressément à l’exception posée par l’article 112-2, 4°, ancien et autorise l’application immédiate du nouveau délai de prescription propres aux infractions des articles 222-30 et 227-26 du code pénal. Pour le prévenu, en revanche, il ne concerne que les nouveaux délais non-défavorables aux personnes poursuivies. Le délai de prescription propre aux infractions des articles 222-30 et 227-26 du code pénal, parce qu’il retarde le terme de la prescription de sept ans, doit respecter l’exception de non-rétroactivité mentionnée plus tôt. Le rejet de cette argumentation par la chambre criminelle n’est pas étonnant. En effet, la présence de l’article 50 dans la loi du 17 juin 1998 ne se justifie qu’à la condition qu’il ait pour objectif de déroger à l’article 112-2, 4°, ancien du code pénal. Autrement, il ne fait qu’affirmer ce qui se déduit naturellement de cet article, à savoir que les délais de prescription nouveaux qui n’ont pas pour effet d’aggraver la situation de l’intéressé sont d’application immédiate. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par la chambre criminelle dans un arrêt du 11 mars 2011 (Crim. 11 mai 2011, n° 11-90.016, D. 2011. 1801 , note S. Detraz ). Quant à l’application immédiate de la loi du 10 mars 2004, qui porte le délai de prescription des délits prévus par les articles 222-30 et 227-26 à vingt ans à compter de la majorité de la victime, celle-ci se justifie par la nature de cette loi. En tant que loi de procédure, elle est par principe d’application immédiate, et il n’est donc pas nécessaire qu’elle contienne une disposition relative à sa rétroactivité contrairement à ce qu’avance le demandeur au pourvoi.

La réponse qu’apporte la chambre criminelle au second moyen est sans doute plus discutable. En droit pénal en effet, la motivation d’une incrimination ne peut être identique à celle d’une circonstance aggravante, sous peine de porter atteinte au principe selon lequel une personne ne peut être poursuivie deux fois pour les mêmes faits ainsi qu’au principe de légalité (Crim. 10 mai 2001, n° 00-87.659, Bull. crim. n° 116 ; RSC 2001. 808, obs. Y. Mayaud  ; Dr. pénal 2001. Comm. 110, obs. Véron ; 14 nov. 2001, n° 01-80.865, Bull. crim. n° 239 ; D. 2002. 251 ). C’est pourquoi, l’article 222-22-1 du code pénal énonce que la contrainte « peut » résulter de la différence d’âge existant entre victime et auteur et de l’autorité exercée sur cette victime. Ces deux critères, qui constituent par ailleurs des circonstances aggravantes, sont en tant que tel insuffisants à eux seuls à caractériser la contrainte, élément constitutif de l’infraction principale. La chambre criminelle confirme pourtant l’arrêt d’appel sur ce point. Elle s’inscrit en cela dans une jurisprudence bien installée (V. dern. Crim. 18 nov. 2015, n° 14-86.100 ; 11 mai 2016, n° 15-80.895), confortée par la décision du conseil constitutionnel en date du 6 février 2015 (Cons. const. 6 févr. 2015, n° 2014-448 QPC, D. 2015. 324  ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail  ; RSC 2015. 86, obs. Y. Mayaud ).

La cassation relative à la mesure visant à transmettre la décision d’appel à l’Ordre national des médecins n’a, enfin, rien d’étonnant. Non prévue par les textes relatifs aux peines complémentaires pouvant accompagner les condamnations pour agression sexuelle, elle viole effectivement l’article 485, alinéa 3, du code de procédure pénale mais aussi, plus généralement, le principe de légalité des peines garanti par l’article 111-3, alinéa 2, du code pénal.

par David Aubertle 14 juin 2016