D’un Avocat du Sénégal à un autre Avocat du Sénégal pour que la flamme ne meurt…* 1
« J’étais certes couché sur mon lit d’hôpital. J’étais sous perfusion. Mais les droits de la défense m’ont appelé à la rescousse de ces pères de famille pour vous demander de leur accorder la liberté provisoire … »
Tels ont été les derniers propos de Maitre Papa Ndiaye, Avocat à la Cour, tenus à la barre du Tribunal des flagrants délits le jeudi 10 Décembre 2009 vers 10 heures du matin, c’est-à-dire moins de 48heures avant son décès survenu le samedi avant l’aube.
En ces temps de solitude ou mes humeurs me détachent des mondanités, J’ai senti la nécessité de tremper ma plume dans mon encrier pour rendre un hommage sincère et mérité à mon excellent confrère et doyen, feu Maitre Papa Ndiaye, Avocat à la Cour.
S’il ne m’était point venu l’idée de le faire de son vivant, c’est que jamais je ne pouvais imaginer qu’il serait si vite arraché à notre affection.
Hélas, cet avocat natif des profondeurs du KAJJOR, comme il aimait à le rappeler, est parti sur la pointe des pieds, laissant derrière lui une justice à jamais sevrée de ses brillantes plaidoiries.
Dans un style qui rappelle Boileau, il concevait bien, énonçait clairement, et traduisait ses idées par des mots qui renvoient à l’image d’un poète du prétoire. On serait même tenté de dire de lui comme SALLUSTE, qu’il fut notre CICERON.
Maitre Papa Ndiaye était, sans exagération aucune, un artiste sculpteur du verbe, un as de la rhétorique. Il avait une parfaite maitrise des ficelles de sa profession d’avocat et des techniques de l’art oratoire. Sa voix était suave.
Unique dans son genre, Il était d’un style simple et accessible à tous. Il savait tenir en haleine son auditoire par les mots et par les gestes. En séducteur chevronné, il symbolisait le verbe dans toute sa splendeur. Bref, il savait convaincre.
Ceux parmi les jeunes avocats qui l’ont connu et pratiqué, ont découvert en lui un plaideur hors-pair dans ce Tribunal Hors–Classe de Dakar.
J’ai eu le privilège d’avoir assisté à sa dernière audience. Je me rappelle que ce fut en présence de mes excellents confrères et amis Ousmane THIAM et Ibrahima DIALLO, lui aussi arraché à notre affection en début d’année 2013. L’audience avait été présidée ce jour là par Monsieur Racine SY, un jeune et brillant magistrat.
Les propos que Me Papa NDIAYE avait tenus à cette occasion résumaient toute la perception que l’homme avait des droits inaliénables de la défense.
IL avait visiblement l’air très affaibli par la maladie. La tristesse qui imbibait le ton du discours laissait nettement entrevoir l’imminence d’un voyage sans retour auquel le commun des mortels ne pouvait s’attendre. Dans la salle, on pouvait entendre les mouches voler. Certes, Me Papa Ndiaye avait habitué son monde à ce décor, mais cette fois-ci, les choses paraissaient presque différentes.
A y regarder de prés, il s’agissait d’un véritable discours d’Adieu.
Qui pouvait cependant imaginer la mort emporter cet homme à la fleur de l’âge ?
Il frappait par son physique si imposant et donnait ainsi l’air d’un boxeur de catégorie poids lourd. En tous cas, il était tout sauf un poids plume et se plaisait à défier les lutteurs à ses heures perdues dans son tumultueux quartier de la banlieue, Guediawaye Sahm Notaire.
Il était élancé, fort et musclé. Il était d’un teint noir d’ébène et son visage laissait souvent ruisseler des vagues de sueur provoquées sans doute par une démarche énergique, parfois subitement précipitée. Ses moindres faits et gestes étaient dictés par la passion. Son sourire radieux laissait transparaitre une jolie dentition auréolée d’une canine argentée au coin de la bouche.
Pape était aussi élégant à sa manière et savait imposer sa vision de la mode.
Il arborait fièrement un nœud papillon qu’il réajustait de temps à autre volontairement avec finesse. Sa coiffure qui rappelle à bien des égards Tintin, ses bottes qui faisaient de lui tantôt un Cow-boy Texan, tantôt un digne descendant du Damel AMARY NGONE FALL, indiquaient une différence assez perceptible avec les autres.
Cette différence, sa différence, Pape, comme nous l’appelions affectueusement, l’’assumait parfaitement. Persuadé qu’il était de tenir sa place parmi l’élite. Sa place, il la tenait effectivement d’ailleurs.
En effet, autant dans l’ancien palais de justice que dans le nouveau, Il avait son siège au banc des avocats. Il s’agit pour les confrères d’un siège que lui seul, Pape, était autorisé à occuper, sans que personne n’en connaisse la raison, on serait tenté de parler de règle coutumière consacrée à son profit.
La particularité de sa mise et son physique laissaient assurément apparaitre l’image d’un homme racé dont la mine, si triste parfois, s’émerveillait lorsqu’il exerçait son office d’Avocat.
Il semblait rude et tenace, mais derrière cette image de mastodonte gisait un homme d’un commerce agréable. Son apparence de véritable empêcheur de tourner en rond contraste avec l’image de l’homme qui a fondu en larmes devant le Bâtonnier Papa Moussa Felix Sow, lorsque ce dernier était venu lui présenter ses condoléances à l’occasion du rappel à Dieu de sa mère.
Cette mère, il l’aimait passionnément et parlait souvent d’elle avec affection. Sans doute, ne s’est il jamais remis de sa subite disparition survenue quelques années auparavant. Il ne cessait, disait –il, d’invoquer la miséricorde de son seigneur.
Il était attaché aux valeurs traditionnelles et aux principes de la religion musulmane. Faisant souvent référence à kocc barma ou à Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Mahtoum, il disait d’eux qu’il admirait la profondeur de leur philosophie.
Il aimait sa terre natale de Ndande et regrettait son passé de paysan, le temps où, avec dextérité, il maniait houe et hilaire en compagnie de son défunt père.
Tel le Président Senghor, Il se proclamait fièrement comme un symbole vivant de l’universalisme.
Il avait développé au prétoire des concepts juridiques en faisant référence à des termes jusques là inconnus, sinon peu usités des professionnels.
Maitre Papa Ndiaye a inventé le concept de proximité de détention par opposition, disait-il, à la détention de proximité en faisant référence à ces jeunes poursuivis pour détention de produits prohibés alors qu’ils avaient juste la malchance de tomber au mauvais endroit au mauvais moment, proches de l’objet du délit, lors même qu’ils n’en étaient ni détenteurs ni propriétaires.
Il a créé entre autres, le concept de globalisation processuelle des infractions par opposition au principe de la personnalité des peines et des délits, principe sacro saint du droit pénal classique.
Il a vaillamment condamné la loi portant criminalisation du trafic de stupéfiants et proposa, pour des raisons de commodité et de bonne administration de la justice, une reforme permettant de substituer la criminalisation à la correctionnalisation qui, comme sous l’ancien régime, offrait des jugements plus rapides et plus efficaces au plan de la criminologie.
Il se plaisait souvent à rappeler les dispositions de l’article 130 du Code de Procédure Pénale qu’il considérait, à juste titre, comme un des maillons essentiels de notre système pénal par référence au droit accordé à toute personne poursuivie devant une juridiction répressive de solliciter sa mise en liberté provisoire à tout stade de la procédure.
S’il n’accordait pas trop d’intérêt au civil, c’est qu’il était sans doute persuadé que le criminel constituait à travers le verbe comme vecteur de communication, le domaine d’expression par excellence du rôle social de l’avocat en tant que défenseur de la veuve et de l’orphelin.
Avec la disparition de Maitre Papa Ndiaye, le Barreau perd certes de sa diversité, mais la veuve et l’orphelin sont aussi subitement privés de leur défenseur.
La salle des audiences correctionnelles va certainement être affectée par l’absence d’une icône qui faisait partie du décor.
Quant à la justice, elle perd encore une fois un talent sur lequel tous les professionnels pouvaient compter.
J’ose espérer comme Hugo que le tombeau qui, sur cet illustre homme, se ferme, ouvre le firmament. Et que sa mort n’est que l’annonce d’une vie plus reposante auprès de sa mère et de son seigneur.
Pape, repose en paix à Ndande.
Puisse Allah son paradis et veiller sur ta famille.*2
Me Bamba Cissé
*1 Le sous titre est de Me Doudou Ndoye.
*2 Qu’il en soit ainsi de nos illustres confrères disparus. Je pense notamment à Maitre Gabriel GENI, Maitre Moustapha DIOP, Maitre Aly SARR et mon cher ami Maitre Ibrahima DIALLO.