Harcèlement moral : conditions d’exonération de l’employeur de sa responsabilité

Lu pour vous

L’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, est exonéré de sa responsabilité en matière de harcèlement moral.

Soc. 1er juin 2016, FS-P+B, n° 14-19.702

Depuis le début des années 2000, la chambre sociale a amorcé un processus de responsabilisation des employeurs quant à leurs obligations en matière de santé et sécurité au travail des salariés. Ce mouvement jurisprudentiel est né des affaires liées à l’amiante et s’est poursuivi au cours de la dernière décennie sur les questions de harcèlement moral et sexuel au travail. Elle a donc établi en 2006 que « l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et que l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité » (Soc. 21 juin 2006, n° 05-43.914, D. 2006. 2831, obs. C. Dechristé , note M. Miné  ; ibid. 2007. 179, obs. A. Jeammaud, E. Dockès, C. Mathieu-Géniaut, P. E. Berthier et D. Condemine  ; Dr. soc. 2006. 826, note C. Radé  ; RDT 2006. 245, obs. P. Adam  ; RJS 2006. 679, n° 916 ; JS Lamy 2006, n° 193-2 ; JCP E 2006. 2315, note Prieur). La conséquence logique de cette nouvelle obligation de sécurité de résultat a été illustrée dans un arrêt du 3 février 2010 où les juges ont considéré que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Soc. 3 févr. 2010, n° 08-44.019, D. 2010. 445, obs. J. Cortot  ; Dr. soc. 2010. 472, obs. C. Radé ). Cette solution a rapidement été réitérée par la suite (Soc. 29 juin 2011, n° 09-70.902, Dalloz actualité, 21 juill. 2011, obs. J. Siro  ; D. 2011. 1978  ; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2011. 576, obs. P. Adam  ; ibid. 2012. 80, étude R. Colson et J.-M. Poittevin  ; JS Lamy 2011, n° 306-6, obs. Gaba ; JCP S 2011. 1463, obs. Leborgne-Ingelaere ; 1ermars 2011, n° 09-69.616, Dr. soc. 2011. 594, obs. C. Radé  ; JS Lamy 2011, n° 297-6, obs. Tayefeh).

Cette jurisprudence était loin de faire l’unanimité. Si elle garantissait aux salariés victimes de harcèlement une indemnisation systématique, elle ne permettait pas une prévention optimale du harcèlement dans l’entreprise. En effet, la condamnation systématique des employeurs, qu’ils aient ou non pris des mesures préventives ou des mesures propres à faire cesser le harcèlement, n’était pas de nature à encourager les bonnes pratiques de ces derniers.

Certains auteurs ont pu remarquer un assouplissement de la jurisprudence de la chambre sociale entre 2014 et 2015 (V., A. Gardin, La redéfinition de l’obligation de sécurité. Brèves réflexions autour d’un changement de logique, RJS 2016. 99 qui cite en exemples : Soc. 3 déc. 2014, n° 13-18.743 ; 5 mars 2015, n° 13-26.321, RJS 5/15, n° 345 ; 22 oct. 2015, n° 14-20.173, RJS 1/16, n° 33 ; O. Levannier-Gouël, Areva NC : la jurisprudence SNECMA fait-elle pschitt ?, Sem. soc. Lamy, n° 1697, p. 6), signe annonciateur d’un revirement finalement intervenu le 25 novembre 2015 (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444, D. 2015. 2507  ; ibid. 2016. 144, chron. P. Flores, S. Mariette, E. Wurtz et N. Sabotier  ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2016. 457, étude P.-H. Antonmattei  ; RJS 2/2016, p. 99, obs. Gardin). Dans cet arrêt du 25 novembre, la Cour considère finalement que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ». Elle laisse ainsi à l’appréciation souveraine des juges du fond le soin de déterminer si l’employeur a bien rempli toutes ces obligations en matière de sécurité et de prévention. La question se posait donc de savoir si cette solution allait également être appliquée en matière de harcèlement moral. L’arrêt du 1er juin 2016 y répond par l’affirmative.

En l’espèce, un salarié victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique a saisi un conseil des prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

La cour d’appel a rejeté la demande du salarié au titre du harcèlement moral au motif que l’employeur avait « modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral, [avait] mis en œuvre dès qu’il a eu connaissance du conflit personnel du salarié avec son supérieur hiérarchique immédiat une enquête interne sur la réalité des faits, une réunion de médiation avec le médecin du travail, le directeur des ressources humaines et trois membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en prenant la décision au cours de cette réunion d’organiser une mission de médiation pendant trois mois entre les deux salariés en cause confiée au directeur des ressources humaines ».

La Cour de cassation annule l’arrêt de la cour d’appel estimant qu’elle n’avait pas vérifié que « l’employeur avait pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et, notamment, avait mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral ».

Cette solution est plutôt équitable. Elle permet aux employeurs diligents de s’exonérer de leur responsabilité en cas de harcèlement moral mais à la condition qu’ils aient tout fait pour en prévenir toutes les formes. En exigeant que l’employeur remplisse toutes les conditions prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2, la Cour n’attend pas de lui qu’il ait pris des mesures pour empêcher le cas de harcèlement dont le salarié a été victime, mais tous les cas de harcèlement dont il aurait pu être victime. Les juges obligent donc les employeurs à faire preuve d’une particulière attention à la prévention et ces derniers ne pourront plus prendre pour prétexte que « quoi qu’ils fassent ils seront de toute façon condamnés » pour ne pas prendre les mesures nécessaires.

Il demeure tout de même un acte de harcèlement qui devrait échapper à l’exonération : celui dont l’employeur aurait été l’auteur ou l’instigateur (dans l’hypothèse où il utiliserait un salarié pour mettre au placard un autre salarié par exemple).

par Marie Peyronnetle 14 juin 2016