Filiation de l’enfant issu d’une PMA dans un couple de femmes : « fraude à la loi » ou déni de réalité du législateur ?

Lu pour vous
Bahar Soleimani

Bahar Soleimani

En autorisant l’adoption plénière par les couples de même sexe, la loi du 17 mai 2013 a franchi un pas symbolique considérable. Trois ans après, où en est-on de la question de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes ?


Tandis que d’autres pays européens tels que la Belgique, l’Espagne ou les Pays-Bas autorisent l’accès à la PMA aux couples de femmes – certains n’ayant même pas trouvé opportun de légiférer sur la question [1]– en France, elle est réservée aux couples hétérosexuels, mariés ou non, justifiant d’une stérilité pathologique. Cette condition n’a pas été révisée lors de la réforme des lois bioéthiques en 2011. Or, si l’on examine de plus près le modèle dans lequel s’inscrit le droit de l’AMP « à la française », force est de constater que les obstacles sont davantage d’ordre idéologique que juridique.

Le point de départ de la controverse

La loi du 17 mai 2013, en ouvrant le mariage aux couples de même sexe, a autorisé l’adoption à ces couples dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels, qu’il s’agisse de l’adoption d’un enfant par les deux conjoints ou de l’adoption de l’enfant du conjoint. L’article 345-1 du Code civil prévoit en effet l’adoption plénière de l’enfant du conjoint lorsque celui-ci n’a de lien de filiation qu’à l’égard de ce conjoint.

Partant de là, à partir du moment où l’enfant n’a de lien de filiation qu’à l’égard d’un parent, en l’occurrence la femme qui a accouché de l’enfant, son adoption est en principe possible par l’épouse de la mère. L’adoption est admise sans distinction suivant le mode de conception de l’enfant, la loi elle-même n’établissant aucune distinction. En particulier, le fait que l’enfant ait été conçu grâce à une procréation avec tiers donneur à l’étranger ne constitue pas un obstacle à l’adoption par l’épouse de la mère.

Sur le plan probatoire, la solution peut sembler logique. On voit mal en effet le juge s’immiscer dans le mystère de la conception et des chambres à coucher au seul motif d’une suspicion de recours à la PMA à l’étranger. Une telle solution serait gravement attentatoire au droit au respect à la vie privée … sur le seul fondement de l’orientation sexuelle !

En réalité, s’il faut encore rechercher l’intention du législateur de permettre l’adoption par l’épouse de la mère de l’enfant ainsi conçu, elle peut être trouvée dans les débats parlementaires ayant précédé le vote de la loi de 2013. En effet, plusieurs amendements avaient été déposés devant l’Assemblée nationale et le Sénat pour interdire l’adoption de l’enfant du conjoint né d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à l’étranger. Ils ont tous été rejetés [2].

Le Conseil constitutionnel, devant qui le débat a ensuite été porté, a confirmé cette interprétation. Certains ont en effet cru pouvoir soulever l’inconstitutionnalité du texte au motif que les couples concernés seraient incités à recourir à l’étranger « à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour le compte d’autrui en fraude à la loi française ». Le Conseil constitutionnel a rejeté ce motif d’inconstitutionnalité, sans aucune réserve d’interprétation [3].

La réalité a donc été clairement posée par la loi de 2013, admettant l’adoption intrafamiliale sans distinguer suivant le mode de conception de l’enfant. Malgré la lettre et l’esprit de la loi pourtant très clairs, la solution ne s’est imposée qu’au terme d’une série de controverses et de divergences d’interprétation, rendant nécessaire la saisine pour avis de la Cour de cassation.

Dans deux avis du 22 septembre 2014 d’une extrême clarté, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à la question de savoir si l’épouse de la mère peut adopter l’enfant conçu par cette dernière à l’étranger grâce au recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur. Elle énonce ainsi que «  le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » [4].

Validité de l’adoption par l’épouse de la mère : la fin du déni

La Cour de cassation s’est positionnée en faveur de l’adoption de l’enfant par l’épouse de la mère dans ses avis du 22 septembre 2014. Il a pourtant fallu plus d’un an pour reconnaître cette solution, alors même que la loi de 2013 n’établit aucune distinction suivant le mode de conception de l’enfant. Il est intéressant de se pencher sur les raisons d’un tel déni.

Les ravages de la « fraude à la loi »

Tandis que la majorité des TGI ont admis l’adoption de l’enfant du conjoint issu d’une PMA à l’étranger, les TGI de Versailles et d’Aix se sont opposés à l’adoption au motif d’une « fraude à la loi » [5]. Devant les juges versaillais, les motifs du refus s’expliquent ainsi : « il y a fraude lorsqu’on cherche à obtenir ce que la loi française prohibe, par des moyens détournés et formellement légaux, que ce soit en France ou à l’étranger  » [6].

Il s’agit là d’une conception particulièrement extensive de la fraude à la loi. En droit international privé, la fraude à la loi suppose une manipulation des règles de conflit de loi pour obtenir artificieusement un droit qu’on ne pourrait obtenir dans son pays (par exemple, une fausse domiciliation dans un pays pour échapper aux règles successorales imposant la réserve héréditaire en droit français). La fraude suppose un artifice, une manipulation de la règle de droit. Dans le cas d’un couple de femmes ayant recours à l’AMP, où est l’artifice sinon au sens littéral du terme, dans les techniques médicales utilisées ? Comme l’a souligné à juste titre un auteur, la filiation n’est pas la « chose » des parents mais un droit de l’enfant. La filiation est avant tout un élément de l’identité de l’enfant, et l’enfant est étranger à la « fraude » [7].

Techniquement, la « fraude à la loi » est inadaptée. En réalité, sous couvert de « fraude à la loi », les juges versaillais ont plutôt sanctionné une violation directe de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique qui réserve le bénéfice des techniques de l’AMP aux couples hétérosexuels infertiles. En quoi consiste la « fraude » ainsi décriée ? Elle réside dans le fait, pour un couple de femmes, de contourner l’interdiction de l’AMP avec tiers donneur en France en se rendant dans un pays voisin, où ces techniques leur sont autorisées. C’est le cas notamment de la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas où les couples de femmes ont accès à l’AMP.

Or, selon l’argumentation suivie par certains TGI, il s’agirait là d’un détournement de l’institution de l’adoption empêchant l’établissement de la filiation entre l’enfant et l’épouse de la mère une fois de retour en France, car la reconnaissance de la filiation reviendrait alors à «  valider la fabrication d’enfants sans pères  ». Dans le même ordre d’idées, on a fait valoir qu’«  une chose est d’offrir une famille à un enfant qui n’en a pas, une autre de « fabriquer » délibérément un enfant privé de père » [8].

Une telle argumentation relève davantage du déni de réalité que du droit. La loi du 17 mai 2013 a ouvert l’adoption plénière aux couples de même sexe. Il est donc désormais admis qu’un double lien matrilinéaire puisse être établi entre un enfant et deux mères. Vouloir à tout prix rattacher l’enfant à une mère et à un père, conformément au modèle de procréation charnelle, «  relève donc de la conviction personnelle et non du droit  » [9]. C’est ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel lors du contrôle de constitutionnalité de la loi de 2013 : « le caractère bilinéaire de la filiation fondée sur l’altérité sexuelle » ne constitue pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République [10].

Quant à l’argument selon lequel il faudrait distinguer entre les différents types de filiation, il est tout simplement inacceptable. Il postule en effet qu’il existerait une hiérarchie entre les filiations, ce qui est possible en matière d’adoption ne l’étant pas en matière de procréation assistée dès lors qu’est en cause la filiation de parents de même sexe. Une telle conception est contraire aux principes qui prévalent en droit français, notamment à l’article 6-1 du Code civil qui reconnait les mêmes effets à la filiation « que les époux soient de sexe différent ou de même sexe », quand bien même le recours à l’AMP ne serait pas ouvert en France aux couples de femmes.

Cette argumentation a été balayée devant la cour d’appel de Versailles, qui a validé l’adoption d’enfants issus de PMA à l’étranger par des couples de femmes qui s’étaient vues déboutées un an plus tôt [11]. Ces décisions ont suivi de près celles de la cour d’appel d’Aix en Provence, qui a prononcé l’adoption plénière dans deux arrêts rendus le même jour, malgré l’opposition du procureur de la République qui faisait valoir la « fraude à la loi » [12].

La clarté de la réponse jurisprudentielle

La cour d’appel d’Aix en Provence, dans deux arrêts très argumentés [13], se prononce d’une part sur l’absence de « fraude à la loi », d’autre part sur l’indifférence du mode de conception de l’enfant pour faire droit à la demande d’adoption déposée par des couples de femmes.

Dans ces arrêts du 14 avril 2015, la cour d’appel d’Aix va au-delà des avis de la Cour de cassation, rendant inopérant l’argument de la « fraude à la loi ». Elle relève ainsi que la fraude à la loi, « qui ne peut s’entendre que de manière restrictive dans le domaine du droit des personnes, suppose que le sujet de droit a artificieusement provoqué les circonstances lui permettant de se prévaloir de la loi étrangère » [14]. Or, en l’espèce, aucune manipulation des règles de conflit n’était démontrée dès lors que la mère biologique de l’enfant, « citoyenne de l’Union européenne, s’était contentée de se rendre [dans un autre pays de l’Union européenne] où la procréation médicalement assistée lui était accessible, ce que permet […] la directive UE 2011/24 du 9 mars 2011 qui pose le principe de la libre circulation pour les soins de santé que les ressortissants européens peuvent aller recevoir à l’étranger » [15].

Par ailleurs, elle souligne très clairement qu’ «  en matière d’adoption, la loi ne pose aucune condition quant aux circonstances de la conception de l’enfant. […] Considérer comme l’a fait le tribunal qu’il y a eu détournement de la loi revient donc à ajouter une condition à l’adoption, pas que le législateur n’a pas franchi le 17 mai 2013, son intention étant à l’évidence de favoriser l’adoption par les couples de même sexe, comme le démontrent les débats parlementaires » [16].

Il convient de souligner la qualité de la motivation ainsi retenue dans ces arrêts, qui coupent court à toute « fraude à la loi » en matière d’adoption d’enfants conçus par PMA à l’étranger. La clarté de la position jurisprudentielle amène toutefois à s’interroger sur la portée de l’interdiction de la PMA en France aux couples de femmes, au moment même où l’établissement d’une double filiation maternelle est admis par la loi.

L’ouverture de l’AMP en France aux couples de femmes : la fin de l’hypocrisie

Il existe actuellement dans notre droit un décalage intenable entre la conception de la filiation telle qu’elle résulte de la loi de 2013 et celle sur laquelle s’est construit le droit relatif à l’AMP. Celui-ci a en effet été conçu par référence au modèle classique de la filiation fondée sur l’altérité sexuelle. Or, ce modèle, s’il reste bien le modèle dominant, n’est désormais plus le modèle exclusif. Le législateur, qui devait modifier le droit de l’AMP dans la foulée de la loi de 2013, est resté au milieu du gué. Quels sont les arguments qui s’opposent à une réforme du droit de l’AMP rendant son ouverture possible aux couples de femmes ? La représentation « thérapeutique » de l’AMP et l’attachement au modèle « biologique » de filiation, transformant l’AMP avec tiers donneur en pseudo-procréation charnelle [17] du couple receveur, est-il toujours pertinent ?

S’agissant de la finalité thérapeutique de l’AMP, elle a été posée par la loi de 1994 et réaffirmée par la loi de 2011. L’article L. 2141-2 du Code de santé publique exige en effet une infertilité dont le caractère «  pathologique  » ait été «  médicalement diagnostiqué  ». La loi de 2013 n’est pas revenue sur cette condition, malgré de nombreux débats sur la question. Cette exigence a permis tant à la CEDH [18] qu’au Conseil constitutionnel [19] de justifier l’interdiction de l’accès à l’AMP aux couples de même sexe, dès lors qu’ils sont considérés comme se trouvant placés dans une situation différente de celle des couples hétérosexuels infertiles.

Cette interdiction est aujourd’hui largement contestable, à commencer par la référence à la notion de stérilité pathologique du couple . L’ambiguïté de la référence à la stérilité pathologique réside dans le fait qu’elle permet de sélectionner le type de couple éligible à cette technique de procréation assistée, tout en justifiant ce choix en termes purement médicaux [20]. L’AMP avec tiers donneur est présentée comme une technique thérapeutique car « en France, on traite des pathologies, on ne fait pas de médecine « de convenance » » [21]. Or, le recours au don de gamètes n’est pas un traitement de l’infertilité à proprement parler [22], mais une pratique sociale qui nécessite le recours à un tiers donneur externe au couple.

On comprend pourquoi la référence à la notion de stérilité pathologique a pu être contestée, dès lors que, sous couvert de choix médical, elle exclut de fait les couples de même sexe d’une pratique sociale. Qu’est-ce qui s’oppose à son abandon ? Parmi les arguments avancés, il est souvent rétorqué que l’AMP ne serait alors plus qu’un acte de convenance personnelle, sans qu’aucune limite ne puisse y faire obstacle, ni l’âge, ni l’infertilité dans un couple hétérosexuel, ni même le décès d’un des parents potentiels. En d’autres termes, l’abandon de la référence au modèle « biologique » conduirait nécessairement à autoriser tout et n’importe quoi, faute pour le droit et la médecine de pouvoir se référer à de telles limites.

A ce type de craintes, l’on peut opposer l’approche plus pragmatique de la pratique médicale. Si l’on examine la réalité de la pratique médicale, la condition de stérilité pathologique doit être relativisée, la procréation assistée étant ouverte aux couples hétérosexuels qui indiquent ne pas avoir pu concevoir d’enfant après un certain délai, sans qu’une cause objective d’infertilité soit parfois diagnostiquée. Par ailleurs, d’un point de vue théorique, s’il est vrai que le droit de l’AMP s’est construit par référence au modèle biologique de procréation, il est faux de voir dans ce modèle et dans la référence au « naturel » l’unique fondement des limites à apporter aux créations du droit. Ces limites peuvent également être pensées par références aux valeurs de justice, d’égalité et de non-discrimination qui sous-tendent une société démocratique [23] .

D’un point de vue juridique, la différence de traitement entre couples mariés de femmes et couples hétérosexuels mariés et non mariés pourrait sembler discriminatoire devant la CEDH depuis que la France a ouvert le mariage et l’ensemble de ses effets aux couples de même sexe. Cette situation est doublement problématique. Il est hypocrite d’imposer aux seuls couples lesbiens le détour par l’étranger et par l’adoption pour pouvoir devenir mères légales d’un enfant né d’une AMP avec tiers donneur. Au-delà des problèmes juridiques que cette solution ne manque pas de soulever – par exemple en cas de séparation du couple engagé dans ce projet parental commun alors que les conditions de l’adoption ne sont pas réunies [24]  le recours à l’adoption en dehors des critères fondamentaux qui la définissent est inadapté dans le cas d’un enfant né d’une AMP avec tiers donneur.

L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes devra donc permettre de réfléchir à de nouvelles modalités d’établissement de la filiation dans ce cadre spécifique. Dans cette ligne, il a été proposé par le groupe de travail « Filiation, Origines, Parentalité » de recourir à l’établissement de la filiation par une «  déclaration commune anticipée de filiation  ». Elle devra également favoriser l’abandon de la règle de l’anonymat du donneur (sans pour autant permettre l’établissement de la filiation), en reconnaissant la coopération d’un donneur et d’un couple de parents d’intention. L’anonymat du don est le pendant du modèle de pseudo-filiation charnelle dans lequel est enfermé le droit de l’AMP, qui renvoie dans les limbes le rôle du donneur. Dans le cadre de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes, et le modèle et le secret se trouveraient inévitablement dénoncés.

Ce n’est pas le moindre des mérites de la question de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes que de permettre une réflexion d’ensemble sur le droit de l’AMP, tel que conçu selon le modèle bioéthique, non révisé depuis. L’enjeu actuel réside dans l’adaptation de ce droit vers un modèle plus complexe et moins idéologique de l’AMP, afin de répondre à l’évolution récente de notre société. C’est au législateur qu’il appartient de se saisir de cet enjeu afin que, dans une société démocratique, une « législation inachevée » ne conduise pas à une « justice en déroute » [25].


Source : http://www.village-justice.com/articles/Filiation-enfant-issu-une-PMA-dans,22312.html#vsSd6UTVgCeoExBJ.99