Extradition : nécessité d’une démonstration in concreto des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense

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L’extradition n’est pas accordée, lorsque la personne réclamée doit être jugée dans l’État requérant par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense.

Acte de collaboration des États dans la lutte contre la délinquance, l’extradition peut se définir comme « la procédure par laquelle un État souverain, l’État requis, accepte de livrer un individu se trouvant sur son territoire à un autre État, l’État requérant, pour permettre à ce dernier de juger l’individu dont il s’agit ou, s’il a déjà été jugé et condamné, de lui faire exécuter sa peine » (v. Merle et Vitu).

Le recours à cette procédure est soumis à certaines conditions de fond parmi lesquelles on trouve l’interdiction d’extrader lorsque la procédure suivie dans l’État requérant ne garantit pas les garanties fondamentales de procédure et la protection des droits de la défense (C. pr. pén., art. 696-4, 7°).

Dans le même sens, la France a émis une réserve à la Convention européenne d’extradition selon laquelle celle-ci sera refusée si la personne requise était amenée à être « jugée dans l’État requérant par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense ou par un tribunal institué pour son cas particulier, ou lorsque l’extradition est demandée pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté infligée par un tel tribunal ».

Les juges doivent donc contrôler que la procédure à l’étranger ne heurte pas l’ordre public français. Si tel est le cas, la chambre de l’instruction rend un avis défavorable, lequel se doit d’être motivé (C. pr. pén., art. 696-15, al. 3).

En l’espèce, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes avait donné un avis défavorable à l’extradition d’une personne demandée par le gouvernement albanais. Cette personne était réclamée pour être poursuivie et jugée pour meurtres et pour fabrication et détention non autorisée d’armes militaires et de munitions, faits réputés commis le 6 mai 2013 en Albanie.

La décision, frappée d’un pourvoi en cassation du procureur général, est censurée par la Cour de cassation qui reproche à la chambre de l’instruction de n’avoir pas vérifié in concreto les conditions d’extradition posées par l’article 696-4, 7° du Code de procédure pénale, insuffisance de motivation et vice de forme touchant aux conditions essentielles de l’existence légale de la décision au regard de l’article 696-15 du Code de procédure pénale.

Les juges du fond avaient cru pouvoir émettre un avis défavorable en retenant de manière générale que « la réalité du Kanun et les difficultés des autorités judiciaires albanaises à faire prévaloir les règles assurant les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense sont démontrées par de nombreux documents, et notamment les rapports du Conseil de l’Europe datés de septembre 2013 et de janvier 2014 relatifs à la visite en Albanie, du 23 au 27 septembre 2013, du Commissaire aux droits de l’homme ». Ils en déduisaient donc que la personne réclamée serait« être jugé(e) par un tribunal qui n’est pas en mesure d’assurer les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense ».

La Cour de cassation est traditionnellement exigeante en matière de motivation des arrêts de la chambre de l’instruction lorsque cette dernière donne un avis favorable. Ainsi, a-t-elle pu affirmer que ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale, l’arrêt de la cour d’appel qui se borne à énoncer qu’au vu des principes fondamentaux inscrits dans le Code de procédure pénale rwandais, la personne réclamée y jouira de conditions de détention convenables et y sera jugée dans le respect des garanties attachées à un procès équitable sans rechercher si, dans les faits, la personne recherchée bénéficiera des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale. (Crim. 9 juill. 2008 ; v. également Crim. 15 sept. 2010).

Dans l’affaire rapportée, elle se montre tout aussi exigeante concernant un avis défavorable, reprochant aux juges de ne pas avoir « ordonné un complément d’information aux fins de rechercher si, en l’espèce, la personne réclamée bénéficiera des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense ». La chambre de l’instruction lorsqu’elle vérifie s’il est bien satisfait aux conditions de fond indispensables à toute extradition, a la possibilité d’ordonner un complément d’information, élément que rappelle la chambre criminelle en visant l’article 13 de la Convention européenne d’extradition. Un tel pouvoir lui permet en réalité de contrôler concrètement pour chaque demandeur si les principes fondamentaux en matière de droits de l’homme sont mis en œuvre pour qu’il soit effectivement jugé par une juridiction qui offre toutes ces garanties. La seule référence aux enquêtes et rapports du Conseil de l’Europe est à cet égard trop générale et donc insuffisante.

Crim. 21 oct. 2014, n° 14-85.257 FS-P+B+I

Références

Crim. 9 juill. 2008, n°08-82.922, D. 2008. 2640, note Gréciano.
Crim. 15 sept. 2010, n°10-84.449, AJ pénal 2011. 141, obs. Girault.
Article 13 de la Convention européenne d’extradition – Complément d’informations
« Si les informations communiquées par la Partie requérante se révèlent insuffisantes pour permettre à la Partie requise de prendre une décision en application de la présente Convention, cette dernière Partie demandera le complément d’informations nécessaire et pourra fixer un délai pour l’obtention de ces informations. »
Code de procédure pénale
Article 696-4
« L’extradition n’est pas accordée :
1° Lorsque la personne réclamée a la nationalité française, cette dernière étant appréciée à l’époque de l’infraction pour laquelle l’extradition est requise ;
2° Lorsque le crime ou le délit à un caractère politique ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition est demandée dans un but politique ;
3° Lorsque les crimes ou délits ont été commis sur le territoire de la République ;
4° Lorsque les crimes ou délits, quoique commis hors du territoire de la République, y ont été poursuivis et jugés définitivement ;
5° Lorsque, d’après la loi de l’Etat requérant ou la loi française, la prescription de l’action s’est trouvée acquise antérieurement à la demande d’extradition, ou la prescription de la peine antérieurement à l’arrestation de la personne réclamée et d’une façon générale toutes les fois que l’action publique de l’Etat requérant est éteinte ;
6° Lorsque le fait à raison duquel l’extradition a été demandée est puni par la législation de l’Etat requérant d’une peine ou d’une mesure de sûreté contraire à l’ordre public français ;
7° Lorsque la personne réclamée serait jugée dans l’Etat requérant par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense ;
8° Lorsque le crime ou le délit constitue une infraction militaire prévue par le livre III du code de justice militaire. »

Article 696-15

« Lorsque la personne réclamée a déclaré au procureur général ne pas consentir à son extradition, la chambre de l’instruction est saisie, sans délai, de la procédure. La personne réclamée comparaît devant elle dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la date de sa présentation au procureur général.
Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article 696-13 sont applicables.
Si, lors de sa comparution, la personne réclamée déclare ne pas consentir à être extradée, la chambre de l’instruction donne son avis motivé sur la demande d’extradition. Elle rend son avis, sauf si un complément d’information a été ordonné, dans le délai d’un mois à compter de la comparution devant elle de la personne réclamée.
Cet avis est défavorable si la cour estime que les conditions légales ne sont pas remplies ou qu’il y a une erreur évidente.
Le pourvoi formé contre un avis de la chambre de l’instruction ne peut être fondé que sur des vices de forme de nature à priver cet avis des conditions essentielles de son existence légale. »
■ Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T. 1 : Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, 7e éd., 1997, Cujas, n° 317.

Auteur : C. L.