Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation précise les modalités d’application temporelle de l’article 445-2 du Code Pénal qui réprime la corruption passive des personnes n’exerçant pas une fonction publique[1]. Il s’agit d’un arrêt lourd de conséquences pour les complices d’actes de corruption.
Cass. crim., 25 février 2015, n°13-88.506
L’article 445-2 du Code pénal a été introduit par la loi n°2005-750 du 04 juillet 2005 pour sanctionner la corruption passive dans les relations d’affaires. La sanction peut aller pour les personnes physiques jusqu’à une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 € d’amende, montant pouvant être porté au double du produit tiré de l’infraction.
La corruption passive est le fait du corrompu (la corruption active étant celle du corrupteur). En l’occurrence, l’arrêt statue sur une infraction de complicité de corruption passive.
Le gérant d’une société propriétaire de lots à bâtir avait été déclaré coupable par la Cour d’Appel d’Aix en Provence de complicité de corruption passive par instigation et fourniture d’instructions. En effet, il avait subordonné l’attribution à une société de la commercialisation de parcelles à la condition que les membres de cette société acceptent de collecter les sommes fixées, « dont il a profité au moins pour partie ».
Les membres de la société chargée de la commercialisation des lots ont effectivement sollicité et obtenu le paiement d’un « ‘droit d’entrée’ occulte et clandestin » de 8000€ par chaque acquéreur de parcelles et ce y compris après l’entrée en vigueur de l’article L445-2 du Code pénal. Ils ont été jugés coupables de corruption.
Le gérant de la société propriétaire, accusé de complicité, a lui aussi été condamné, à savoir à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d’amende. Il faisait valoir dans son pourvoi que la Cour d’appel avait retenu comme seuls actes de complicité les propos tenus par le prévenu en décembre 2004 et qu’en vertu de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, ces derniers ne pouvaient pas être appréhendés par la loi du 04 juillet 2005.
La Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel en relevant que le prévenu avait non seulement participé à la mise en œuvre de la corruption mais avait aussi « maintenu, après l’entrée en vigueur de la loi précitée, les instructions données pour la perception des fonds et la provocation à cette action, lesquelles ont entraîné la poursuite des sollicitations et des remises de fonds ».
La Cour de cassation semble ici traiter le délit de corruption passive comme une infraction « continuée »[2] qui s’entend d’une action consistant en plusieurs faits réunissant tous les éléments de la même infraction (ou d’une infraction similaire) commise sur une certaine durée[3]. Les différents éléments d’infraction formeraient un tout, à savoir l’instigation et les derniers paiements effectués à la suite de cette instigation. Les derniers actes ayant été commis sous l’empire d’une loi pénale plus sévère, cette loi s’appliquera à la globalité de l’infraction, quand bien même les premiers actes auraient été commis avant son entrée en vigueur. Il est probable que ce raisonnement repose au moins en partie, sur l’argument que le complice profite, lui aussi, des actes de corruption. Néanmoins tout « complice » d’un acte de corruption devra se méfier des conséquences à long terme de ses actes lorsqu’il ne les maîtrise plus.
Il est aussi utile de rappeler que cette application de la loi dans le temps peut avoir d’autres conséquences par exemple sur la prescription de l’action publique, comme en a déjà jugé la Cour de cassation pour le délit de corruption de fonctionnaire[4] . Le délai de prescription commençant à courir à compter du jour où le pacte a pris fin et non à la date à laquelle il a été conclu.
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[1] sans être dépositaire de l’autorité publique, ni chargée d’une mission de service public, ni investie d’un mandat électif public
[2] Notion doctrinale
[3] A titre d’exemple : dissimulation intentionnelle, persistante et importante de revenus imposables.
[4] Cass, chambre criminelle, 06 février 1969, n° 67-93492. La Cour de Cassation rejette le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 27 octobre 1967 qui avait jugé que : « s’il est exact que le seul fait pour les personnes énumérées à l’article 177 du code pénal de conclure, dans une intention coupable, un pacte de corruption suffit à caractériser le délit, il est aussi certain que les actes par lesquels il est mis exécution constituent des faits punissables sous cette qualification jusqu’au jour où ce pacte a pris fin et que c’est cette dernière date qui marque le point de départ de la prescription de l’action publique. »
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