Le continent africain détient un tiers des réserves mondiales, tous minerais confondus, et cette position devrait, selon les experts, se renforcer d’ici à 2015. Par exemple, l’uranium africain, qui représente 20% de la production mondiale, offre de belles perspectives à des pays producteurs tels que la République Centrafricaine, le Niger, ou la Namibie. En effet, compte tenu de la flambée des prix du pétrole et de l’augmentation des contraintes environnementales, ce minerai relance l’intérêt des producteurs pour l’électricité d’origine nucléaire. La Guinée, qui abrite les deux tiers des réserves mondiales de bauxite devrait également voir sa position se renforcer sur le marché international. Il pourrait en être de même pour Madagascar, premier producteur africain de nickel, qui commence à développer ses exportations de titane et de cobalt. On pourrait multiplier les exemples à souhait pour la platine, le chrome, le manganèse, etc.
S’il est vrai que l’euphorie des années 2002 à 2007, qui avait vu tripler le prix de plusieurs minerais africains, et aujourd’hui passée, il n’en reste pas moins que les investissements directs étrangers dans ce secteur continuent de connaitre une croissance soutenue, du fait de la forte demande de pays tels que l’Inde, la Chine, la Russie ou le Brésil.
Au regard de ce constat positif, l’ont est légitimement fondé à se poser la question suivante : pourquoi les pays africains n’ont-ils pas, jusqu’ici, tiré le meilleur profit de l’exploitation de leurs ressources minières ?
La réponse à cette question est à rechercher, pour une large part, dans la négociation par les États Africains, des contrats d’investissement miniers. A cet égard, il convient de distinguer deux périodes, celle des années 1980 et 1990 et celle des années 2000.
Années 1980-90
Rappelons que la plupart des contrats miniers ont été négociés dans les années 1980 et 1990. Ces années ont été marquées, en particulier, par des prix très bas ainsi qu’un risque politique élevé, qui a découragé nombre d’investisseurs étrangers. Pour les attirer, les pays africains ont adopté, à travers leurs codes des investissements, des règles extrêmement généreuses, notamment, sous la forme d’exemptions fiscales, d’octroi d’avantages douaniers en matière d’importation de matériel technique et d’exportation de matières premières, de politique des changes, de rapatriement de bénéfices, etc. De surcroit, l’absence de capacités humaines et techniques suffisantes, la négociation des contrats miniers était tout à l’avantage des investisseurs étrangers. Ainsi, des pays, tel le Ghana, ont accordé entre 20 et 30 années d’exonérations fiscales et exigé un faible taux de dividendes, permettant ainsi aux investisseurs de rapatrier 100 % de leur capital. En revanche, pendant la même période, le Botswana avait conclu des contrats gagnant-gagnant, notamment avec la firme sud-africaine De Beers, pour l’exploitation de son diamant.
Années 2000
Plusieurs facteurs ont contribué à modifier la donne et à faire prendre conscience aux pays producteurs africains de la nécessité, non seulement de mieux négocier les nouveaux accords, mais également, de renégocier tout ou partie des accords déjà conclus. Au titre de ces facteurs, l’on peut citer, notamment, les politiques d’ajustement structurel et le besoin subséquent d’améliorer les recettes budgétaires, l’émergence d’une société civile soucieuse de faire participer les populations à la gestion des ressources minières et de leurs revenus, les nouvelles exigences de transparence et de lutte contre la corruption posée par les des institutions financières internationales, etc.
L’urgence de développer et /ou d’améliorer les capacités des pays africains s’est manifestée, en particulier, à l’occasion de la négociation d’un accord de joint-venture entre la République Démocratique du Congo (RDC), la compagnie minière congolaise Gecamines, la Banque chinoise d’import-export (Chinese Exim Bank), la société chinoise Sino Hydro Corp et la société chinoise des chemins de fer China Railway Engineering Corp pour l’exploitation de gisements de cuivre et de cobalt. En effet, cette transaction, qui s’est révélée exclusivement à l’avantage des parties chinoises, a suscité de nombreuses interrogations quant aux capacités de négociation des pays d’accueil d’investissements étrangers.
De nombreuses initiatives publiques ont, récemment, vu le jour pour pallier ces faiblesses de capacités africaines en matière de négociation. Ainsi, la Banque africaine de développement (BAD) a aidé à la création de la Facilité africaine de soutien juridique. La Banque mondiale a mis en place la Facilité d’assistance technique pour les industries extractives (EI-TAF).
Des initiatives privées ont également entrepris d’appuyer non seulement la gestion des ressources minières, mais également celle des revenus qu’elles génèrent. Il en est ainsi, par exemple, de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (EITI), à laquelle le Sénégal s’apprête à adhérer, et du modèle de contrat minier conçu par l’organisation professionnelle de l’Association du barreau international (International Bar Association).
L’exemple de la Tanzanie illustre bien la nouvelle attitude de négociation des pays africains. Son gouvernement a pu obtenir que des compagnies minières telles que la sud-africaine AngloGold, la canadienne Barrick ou l’australienne Resolute Mining Limited acceptent , notamment, de payer de substantielles redevances annuelles et de mettre en place un fonds spécial destiné à financer des projets au profit des populations vivant dans les zones d’exploitation.
Aujourd’hui, de nombreux pays producteurs ont décidé de ré-ouvrir des négociations de contrats en cours d’exécution. Cette attitude est souvent dictée par des impératifs financiers, ainsi que par la société civile qui joue un rôle de veille politique et économique dans la gestion des ressources minières. Certaines renégociations tendent à faire prendre en considération les aspects environnementaux et sociaux et, en particulier, l’indemnisation adéquate des populations. Le gouvernement du Libéria a ainsi obtenu l’élimination des clauses qui affranchissaient le groupe Arcelor Mittal du respect des règles de protection de l’environnement et lui accordaient d’importantes exonérations fiscales et lui a imposé l’indemnisation des populations déplacées des zones d’exploitation minière. Par ailleurs, la révision de contrats miniers peut également viser l’inclusion de clauses relatives au « contenu local ». Il s’agit alors d’imposer à l’investisseur qu’il acquiert, dans la zone d’exploitation, une certaine quantité de biens et de services (pour autant qu’ils existent sur place) et qu’il utilise la main d’œuvre locale pour la fourniture de services appropriés. Ces clauses sont souvent complétées par des dispositions relatives au transfert de techniques et de compétences au profit des populations locales. Il est toujours loisible à l’investisseur, dans le cadre de l’exercice de sa responsabilité d’entreprise sociale (corporate social responsability) d’offrir aux populations locales des services d’éducation et de santé par la construction d’écoles et de postes de santé etc.
S’il est vrai qu’il existe, aujourd’hui, en Afrique, une plus grande prise de conscience par les gouvernements de l’importance de développer leurs capacités de négociation des contrats, des défis majeurs les interpellent. Ils consistent dans une gestion efficace des revenus générés, au profit des populations, en particulier des plus vulnérables et dans une lutte déterminée contre la corruption. C’est à ce prix que l’Afrique éviterait ce qui est communément désigné sous le nom générique de la malédiction de l’abondance. Mais, les gouvernements africains s’en montreront-ils capables ?
Par ABOUBACAR FALL
- Ancien Conseiller Juridique Principal de la BAD, Membre du Conseil de Gestion de la Facilité Africaine de Soutien Juridique
- Chronique parue dans le magazine LE QUORUM No 1