Contestation recevable malgré l’incapacité à produire l’avis d’amende forfaitaire majorée

Jurisprudence

En cas de déclaration d’irrecevabilité de la réclamation relative à l’avis d’amende forfaitaire majorée, la requête en incident contentieux est recevable, soit que le demandeur prétende ne pas avoir reçu l’avis, soit qu’il justifie être dans l’impossibilité de le produire pour un motif légitime.

Crim. 18 mai 2016, FS-P+B, n° 15-84.729

Crim. 18 mai 2016, FS-P+B, n° 15-86.095

Dans le cadre de deux procédures distinctes relatives à des faits de contraventions au code de la route, les mis en cause forment l’un et l’autre une réclamation concernant le paiement d’amendes forfaitaires majorées en prétendant ne pas avoir reçu les avis correspondants. Elles sont toutes deux déclarées irrecevables au motif qu’elles ne sont pas accompagnées des avis litigieux contrairement à ce qu’exige l’article 530, alinéa 3, du code de procédure pénale. Les personnes poursuivies forment alors, sur le fondement des articles 710 et 711 du même code, une requête en incident contentieux auprès de la juridiction de proximité, qui confirme dans les deux cas la décision du ministère public. Ils sont, de nouveaux, déboutés en appel par deux motivations similaires : ni l’un ni l’autre n’invoquait en effet de motifs légitimes susceptibles d’expliquer la non-réception de l’avis d’amende forfaitaire majorée. La chambre criminelle invalide les arrêts en cause par deux décisions du même jour dont il convient cette fois de distinguer les motifs : dans le premier cas, faisant peser la charge de la preuve de l’envoi de l’avis d’amende forfaitaire majorée sur le ministère public, elle refuse de considérer la production de bordereaux collectifs d’envoi au ministère public comme une preuve recevable. Dans le second, à l’appui d’un très riche attendu de principe, elle répartit cette charge selon les prétentions du requérant. Ce dernier peut d’abord exciper de la non-réception de l’avis, et il reviendra alors à la juridiction de proximité de vérifier si la preuve de son envoi est rapportée par le ministère public. Il peut, par ailleurs, justifier être dans l’impossibilité de produire l’avis. En l’espèce, dans l’un et l’autre cas, la preuve de l’envoi de l’avis d’amende forfaitaire majorée n’étant pas efficacement rapportée, les arrêts sont cassés.

Après avoir consacré l’existence d’un recours juridictionnel au bénéfice des automobilistes auteurs de contraventions au code de la route (V. Crim. 2 sept. 2005, n° 05-84.293, Bull. crim. n° 214 ; D. 2005. 2408  ; AJ pénal 2005. 418, obs. P. R.  ; JCP 2005. IV. 3192), la chambre criminelle vient garantir par le présent arrêt son effectivité par un très judicieux renversement de la charge de la preuve. L’espèce témoigne en effet de la difficulté pour le contrevenant à faire prospérer une réclamation relative à l’amende forfaitaire majorée en raison d’une certaine rigidité de la procédure qui l’encadre. Une telle réclamation ne remet en cause le caractère exécutoire de l’amende contestée qu’à la condition, posée par l’alinéa 3 de l’article 530 du code de procédure pénale, qu’y soit joint l’avis d’amende forfaitaire majorée. Elle est, autrement, déclarée irrecevable par le ministère public. Le réclamant qui n’a pas reçu l’amende peut, conformément à l’arrêt précité, former une requête en incident contentieux devant la juridiction de proximité. Malgré l’existence d’un tel recours, il lui était jusqu’alors très difficile d’obtenir gain de cause, ce pour plusieurs raisons. D’une part, il lui était impossible de se procurer la pièce exigée en recourant à la procédure de demande de production de pièces prévue à l’article R. 155-1 du code de procédure pénale. Cette procédure ne donne accès qu’à des copies de pièces alors que la Cour de cassation exige que l’original soit produit par le réclamant. D’autre part, la chambre criminelle déclarait que, malgré l’existence nécessaire d’un recours contre la décision du ministère public, la réclamation devait en tous les cas être déclarée irrecevable lorsqu’elle n’était pas accompagnée de l’avis en cause. Se faisant, elle présumait la responsabilité du requérant dans son incapacité à produire l’avis, auquel il revenait donc de justifier de sa non-réception. La preuve n’est pas impossible, mais elle est bien plus exigeante que la preuve inverse. Dans ces conditions, le droit au recours était-il vraiment effectif ? Le respect de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est à ce prix, conformément aux décisions du Conseil constitutionnel (V. Cons. const., 7 mai 2015, n° 2015-467 QPC, D. 2015. 1046  ; AJ pénal 2015. 433, obc. J.-P. Céré ; Dr. pénal 2015, n° 118, note Peltier) et de la Cour européenne des droits de l’homme (V. CEDH 8 mars 2012, n° 14166/09, Célice c. France, § 26 et 27, Dalloz actualité, 22 mars 2012, obs. O. Bachelet  ; D. 2012. 984 , note J.-P. Céré  ; RSC 2012. 690, obs. D. Roets ). C’est de ce prix, désormais, que s’acquitte la procédure relative à la réclamation concernant l’amende forfaitaire telle qu’organisée par les arrêts rapportés. En exigeant de déclarer recevable la contestation de la décision d’irrecevabilité lorsque le contrevenant prétend ne pas avoir reçu l’avis et en portant la charge de la preuve de l’envoi sur le ministère public, la Cour de cassation rétablit un semblant d’efficacité à un recours qui en manquait cruellement.

Les droits de la défense ainsi consolidés, la nouvelle forme prise par la procédure de contestation de l’amende forfaitaire majorée pose la question de la capacité du ministère public à surmonter le fardeau de la preuve. Il en va, conformément à l’alinéa 2 de l’article 530 du code de procédure pénale, du caractère exécutoire de l’avis d’amende forfaitaire majorée. La pratique actuelle de l’envoi par courrier simple complique la tâche du ministère public comme en témoigne l’une des deux espèces. Dans cette dernière, l’organe de poursuite avait tenté de recourir à un autre moyen de preuve en la forme de bordereaux collectifs d’envoi d’amendes forfaitaires majorées au trésor public. Leur production fut considérée comme inopérante par la Cour de cassation, laissant en suspens la question des moyens de preuve recevables. Tant que cette dernière n’est pas réglée, la distinction opérée quant à la charge de la preuve dans la seconde décision apparaît inutile. À supposer que le contrevenant ait bien reçu l’avis d’amende majorée, rien ne l’empêche de prétendre l’inverse pour se défaire d’une justification bien embarrassante et profiter de l’important risque de la preuve que fait peser, en l’état, cette jurisprudence sur le ministère public.

par David Aubert le 13 juin 2016