Le 23 juillet 2015, 63 praticiens de l’arbitrage en Afrique se sont réunis sous l’égide de la Commission de l’Union africaine à Addis-Abeba, pour échanger au sujet du rôle des institutions africaines d’arbitrage dans le développement de l’arbitrage en Afrique. La conférence était convoquée par Mme Emilia Onyema, spécialiste de l’arbitrage à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l’Université de Londres et était co organisée par le Juge Edward Torgbor, du Kenya. Le département juridique de l’Union Africaine co organisait la conférence avec la SOAS tandis que l’International Centre for Arbitration and Mediation (ICAMA – Abuja, Nigéria), ainsi que les cabinets d’avocats Foley Hoag LLP (Washington DC), Stephen Harwood LLP (Londres) et LACIAC (Lagos) parrainaient l’événement.
La Cour Commune de Justice et d’arbitrage (CCJA) de l’OHADA était représentée par M. Jimmy Kodo, Conseiller technique de son Président et M. Narcisse Aka, Secrétaire général du Centre d’arbitrage de la CCJA.
La conférence examinait les raisons pour lesquelles les procédures d’arbitrage qui impliquent au moins une partie d’origine africaine ne sont pas gérées par des institutions du continent. Les participants ont chacun convenu qu’il est nécessaire de se poser cette question et d’y apporter des réponses, afin que les litiges arbitrables naissant en Afrique soient résolus en Afrique et principalement par des arbitres et praticiens africains. A cette fin, plusieurs séries de discussions réunissant les directions de plusieurs institutions d’arbitrage ainsi que des utilisateurs des procédures d’arbitrage ont été organisées.
La conférence a débuté par un bref message de bienvenue du Professeur Vincent Nmehielle, directeur juridique de l’Union africaine, message à l’occasion duquel il a insisté sur la nécessité de mettre en place une cour d’arbitrage panafricaine et un institut d’arbitrage africain pour la formation à l’arbitrage. La conférence a accueilli avec bienveillance les suggestions apportées, dont la mise en œuvre devra être étudiée et éventuellement dirigée par la Commission de l’Union africaine. A la suite des propos introductifs du Professeur Nmehielle, Mme Onyema a présenté l’objet de la conférence conformément à son document de travail et aux remarques précitées.
La première table ronde réunissait les institutions d’arbitrage suivantes : Arbitration Foundation of Southern Africa (AFSA) et Africa Alternative Disputes Resolutions (Africa ARD) en (Afrique du Sud), Lagos Regional Centre (Afrique de l’ouest), et Kigali Centre (Afrique orientale) et l’OHADA. Cette table ronde était présidée par Maître Alexandra Kerr Meise, avocate associée de Foley Hoag LLP.
La deuxième table ronde était composée des institutions nationales suivantes : le Centre d’arbitrage du Ghana, le Centre de la cour d’arbitrage de Lagos, le LCIA-MIAC (Ile Maurice), le Centre d’Addis-Abeba, et le Centre de résolution des différends de Zambie. Cette table ronde était présidée par le Juge Bayo Ojo, SAN d’ICAMA (Abuja). Ces deux tables rondes abordaient la question de la nature des services de ces institutions et des services spécifiques à chacune des institutions. Les deux ensembles d’institutions traitent des procédures d’arbitrage nationales et internationales, organisent des formations et assurent la promotion et l’arbitrage dans leurs domaines de compétence respectifs. Mme Bernadette Uwicyeza, de Kigali, a relevé l’intérêt du service que le centre propose aux entreprises, pour susciter une meilleure connaissance des procédures d’arbitrage. Elle a déclaré que le Centre commence à observer une évolution du comportement des entreprises, qui recherchent davantage à obtenir des informations auprès du centre au sujet de l’utilisation de l’arbitrage. Mme Deline Buekes de l’AFSA/ADR Afrique a mentionné un accord récent de l’AFSA pour mettre en place un centre conjoint d’arbitrage sino-africain, basé à la fois à Shanghai et à Johannesburg, auquel elle convie les autres institutions d’Afrique. Cette institution supranationale gérera l’arbitrage de différends découlant de relations commerciales émanant d’Afrique et de Chine.
M. Aka, de la CCJA de l’OHADA, a mis en évidence les discussions engagées avec le Centre régional de Lagos et le Centre de Kigali. Il a aussi rappelé que bien que l’OHADA (depuis 2008) compte maintenant 4 langues officielles (français, anglais, espagnol et portugais), les textes de l’OHADA doivent encore être traduits depuis le français vers les autres langues, une opération qui est en cours.
M. Ikatari, du Centre régional de Lagos, a souligné la volonté du Centre d’inviter davantage d’Africains au panel des arbitres. Mme Megha Joshi, de la Cour d’arbitrage de Lagos (LCA), a fait remarquer que le programme de traitement des petits différends de la LCA a été mis en place pour permettre aux aspirants aux postes d’arbitres d’acquérir de l’expérience en la matière. M. Duncan Bagshaw, du LCIA-MIAC, a évoqué l’affiliation de ce Centre à celui de la Cour d’arbitrage international de Londres (LCIA) et l’effet de cette affiliation sur la crédibilité du MIAC, en précisant toutefois que ceci n’est pas une condition essentielle pour qu’un centre « prospère ». M. Emmanual Amofa, du Centre d’arbitrage du Ghana (GAC), a rappelé la nature indépendante du GAC et l’impact de la loi ghanéenne sur la résolution alternative des différends dans le fonctionnement du Centre.
Pour les chambres d’Addis-Abeba, M. Yoannes Woldegebriel a relevé la croissance du nombre de procédures nationales traitées par le centre, et a établi un lien très clair avec la croissance interannuelle des activités du secteur de la construction en Éthiopie. Enfin, le juge Charles Kajimanga, ès président du Centre de Zambie, a relevé que depuis que le financement de l’USAid a été interrompu, le Centre a abandonné les services de formation qui ont été dévolus à la succursale zambienne du Chartered Institute of Arbitrators (le centre ayant été essentiellement inactif en raison du défaut de financement, bien qu’il agisse comme autorité chargée de la désignation des arbitres). Les participants ont souligné l’opportunité intéressante d’entendre les voix de divers centres au sujet de leurs actions et de leurs attentes respectives en matière de collaboration entre institutions.
La troisième table ronde était présidée par le Professeur Paul Idornigie, de la Nigerian Institute of Advanced Legal Studies (NIALS), et était composée de praticiens de l’arbitrage qui avaient eu recours à ces centres et à d’autres institutions. Ces utilisateurs ont adopté un regard critique sur les services des institutions d’arbitrage et ont partagé leurs expériences et leurs idées sur la viabilité et le caractère durable des institutions africaines. Les participants à la table ronde venaient d’Ouganda (Jimmy Muyanja), d’Ethiopie (Leyou Tameru), de Londres (Kamal Shah et Stuart Dutson), de Côte d’Ivoire (Jimmy Kodo) et du Kenya (Kariuki Muigua). Ils ont reconnu que les institutions africaines doivent disposer de règles qui s’adaptent à leur objet et soient régulièrement actualisées, maîtrisent les coûts et répondent aux besoins de leurs usagers.
M. Muigua a inauguré cette session en dressant une liste d’infrastructures physiques que les gouvernements africains doivent mettre en place pour que les Etats puissent attirer des institutions d’arbitrage siégeant dans le Continent. Parmi celles-ci, on relève des besoins en matière de sécurité et de financement de diverses institutions gouvernementales, d’équipements sanitaires et de leur entretien. M. Jimmy Muyanja a rapporté une histoire intéressante au sujet du point de vue de la presse ougandaise au sujet de l’arbitrage il y a dix ans, qui montre clairement le défaut de compréhension de l’arbitrage et ses rapports avec les tribunaux. Il a alors précisé la façon dont ces préjugés ont été traités pour faire évoluer la perception de l’arbitrage par les médias et les magistrats. Il a en outre mentionné le concept intéressant de la mise en œuvre d’un concours d’arbitrage commercial, visant les responsables juridiques (et non pas les étudiants, comme cela se produit plus fréquemment), avec des magistrats agissant en qualité d’arbitres lors du concours.
M. Stuart Dutson d’Eversheds LLP a pour sa part noté les limites des centres d’arbitrage internationaux traditionnels, et a encouragé les institutions africaines à privilégier innovation et originalité pour éviter ces institutions plus conventionnelles. Il a notamment évoqué les limites que sont le coût et la complication des procédures. Mme Leyou Tameru a abordé la question du besoin de transparence des institutions au sujet des arbitres composant leurs panels, celle de la nécessité de produire des publications au sujet des sentences à examiner ; des langues utilisées par les institutions ; et que ces dernières communiquent leurs mémoires annuels et événements, entre autres. Il a finalement mis en exergue la nécessité d’institutions qui se concentrent à l’avenir sur le commerce et les différends intra-africains.
M. Kamal Shah, de Stephenson Harwood LLP, a énuméré les défis à suivre et que les institutions seront amenées à traiter : la réponse en temps opportun aux courriels et messages téléphoniques, la communication au public sur les actions en cours, la gestion des institutions comme s’il s’agissait d’entreprises dotées d’un conseil d’administration, la création d’une base de données d’arbitres africains, et la mise à disposition de ces ressources auprès des autres institutions. Les autres défis consistent à rechercher le soutien, le parrainage et le financement des gouvernements — la tâche consistant à simplifier et raccourcir leurs procédures — la création d’un forum d’institutions pouvant partager leurs expériences, et la participation de cabinets juridiques étrangers.
M. Jimmy Kodo a conclu les discussions en énumérant une liste de pistes d’amélioration sur lesquelles travaille l’OHADA. Celles-ci comprennent notamment l’amélioration de l’accès à l’information, une refonte du site web, la fourniture de modèles ou de clauses d’arbitrage type, et la formation continue des arbitres. Les participants ont eu des échanges animés sur les diverses questions, et ont conclu au besoin de garantir une collaboration plus étroite entre les institutions africaines et à la nécessité d’obtenir une participation régulière des gouvernements pour fournir un espace propice au déplacement des procédures d’arbitrage vers leurs États afin que l’arbitrage puisse s’y développer.
La quatrième table ronde était présidée par le Professeur Fidelis Oditah et abordait les questions juridiques qui doivent être résolues pour envisager de réaliser les arbitrages en Afrique. La table ronde était composée du juge Edward Torgbor (Kenya), qui a abordé le thème de la disponibilité de l’expertise arbitrale sur le Continent ; Mme Emilia Onyema a évoqué la nécessité que les juges soutiennent l’arbitrage ; M. Tunde Fagbohunlu a examiné le rôle des praticiens dans la désignation d’arbitres africains. Il a en particulier relevé le lien entre les cabinets d’avocats externes désignés par les clients, et le choix des arbitres. Enfin, M. Brett Hathaway, conseiller juridique de DHL (Afrique/MO), a exposé ses quatre prérequis pour envisager de recourir à une institution d’arbitrage. Le Professeur Oditah a conclu les discussions en indiquant que les États africains, en qualité de parties, doivent aussi assumer une certaine responsabilité. Il a notamment fait remarquer que les États africains, en tant que parties, ne sont pas impliqués dans le processus d’arbitrage en temps opportun : ils désignent des cabinets d’avocats et des arbitres étrangers, même en ayant connaissance d’Africains dotés de l’expertise requise. En conclusion, les entreprises et gouvernements africains doivent désigner des entreprises et des arbitres africains qualifiés, et ceci peut être réalisé en collaboration avec des cabinets étrangers.
Les sessions se sont avérées très dynamiques, avec la participation active des représentants. Il a été convenu que ce genre d’initiatives doit être encouragé pour maintenir le dialogue entre les institutions, leurs usagers et le public au sens large. Il a aussi été convenu que les institutions ont besoin de mieux collaborer, ce qui implique de commencer à travailler ensemble dans le cadre de forums similaires à celui que cette conférence a fourni. L’implication de l’Union africaine a été saluée et il est à espérer que celle-ci suscitera l’adhésion de nouvelles parties prenantes aux processus d’arbitrage sur le Continent africain.
Cette conférence est la première d’une série de quatre événements qui portent chacun sur le fonctionnement de chacune des parties prenantes aux procédures d’arbitrage (institutions, juges, États et praticiens de l’arbitrage). Les organisateurs souhaitent que les résultats de chaque conférence soient mis en œuvre par chaque partie prenante et qu’au fil du temps, ils puissent surveiller l’évolution des comportements, en fonction du nombre de procédures d’arbitrage qui se dérouleront sur le Continent et du nombre d’arbitres africains désignés dans le cadre de litiges africains. La série de conférences visait tous les Africains et a donc recueilli une participation en provenance de plusieurs régions d’Afrique. Cette remarque s’applique aussi aux lieux où les conférences sont organisées. Ainsi, la Cour d’arbitrage de Lagos accueillera la seconde conférence des 6 et 7 juillet 2016 sur la thématique suivante : « Repenser le rôle des tribunaux et des magistrats afin de promouvoir l’arbitrage en Afrique ». La troisième conférence de ce cycle se tiendra au Caire, en 2017, et sera accueillie par le Centre régional du Caire. Elle portera sur la façon dont les États africains peuvent promouvoir l’arbitrage. La quatrième conférence de ce cycle se tiendra en Afrique orientale et sera centrée sur la façon dont les praticiens de l’arbitrage et ses usagers peuvent participer au développement de ces procédures en Afrique. M. Onyema pense que si chacune des parties prenantes contribue à former un ensemble cohérent, le Continent accueillera non seulement plus de procédures d’arbitrage internationales, mais son marché arbitral intérieur connaîtra aussi une certaine croissance. Ceci garantira une hausse des procédures d’arbitrages traités, une tendance nécessaire qui conduira à recourir davantage aux institutions d’arbitrage africaines. Ceci conduira de plus à la désignation de davantage d’arbitres africains et impliquera les tribunaux africains et leurs magistrats, pour que ces derniers interviennent sur des questions liées à l’arbitrage, ce qui contribuera à la jurisprudence arbitrale mondiale. Cette démarche portera aussi nos « voix africaines » au niveau de la sphère arbitrale mondiale.
Pour plus amples informations, veuillez contacter :
Mme Emilia Onyema
Courriel : eo3@soas.ac.uk
UNIDA / OHADA.com