La clause d’arbitrage contenue dans un Traité Bilatéral d’Investissement conclu entre des États membres de l’UE n’est pas compatible avec le droit de l’Union

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La clause d’arbitrage contenue dans un Traité Bilatéral d’Investissement conclu entre des États membres de l’UE n’est pas compatible avec le droit de l’Union

Avr 11, 2018Flash, Lu pour vous

Rédigé par Antoine Adeline et Maëlle Thirard-Guerrier le 10 Avril 2018.

Sourcelarevue.squirepattonboggs.com

CJUE, grande chambre, 6 mars 2018, C-284/16, Slowakische Republik c. Achmea BV

Nous rapportions dans un précédent article[1] que les conclusions de l’Avocat Général Wathelet soutenaient que la clause d’arbitrage contenue dans un Traité Bilatéral d’Investissement (TBI) conclu entre deux États membres de l’UE était valide.

Les juges de la CJUE ne sont pas liés par la position adoptée par l’Avocat Général, mais en pratique la solution avancée par ce dernier est régulièrement reprise par la Cour, sans nécessairement d’ailleurs adopter le même raisonnement.

L’arrêt du 6 mars 2018 de la CJUE serait-il l’exception qui confirme la règle ?

La CJUE vient en effet de juger que la clause prévoyant le recours à l’arbitrage dans le cadre d’un TBI porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union, et plus particulièrement aux articles 267 et 344 du TFUE.

Quid du raisonnement de la Cour pour arriver à une telle conclusion (I), et des implications de cet arrêt pour l’arbitrage international (II) ?

 

Le raisonnement de la Cour

À titre liminaire, la Cour rappelle qu’un traité international ne saurait affecter l’ordre de compétences fixé par les traités de l’Union et, en particulier, l’autonomie du système juridique de l‘Union.
La Cour tranche d’abord les première et deuxième questions, relatives respectivement aux articles 344 et 267 du TFUE, à savoir :
    • Un tribunal arbitral constitué en vertu d’une clause de règlement des différends d’un TBI entre États membres est-il une « juridiction », au sens de l’article 267 du TFUE, habilitée à interroger la CJUE à titre préjudiciel ?
    • L’article 344 du TFUE fait-il obstacle à l’application de dispositions des TBI intra-européens qui permettent le règlement par un tribunal arbitral des différends entre investisseurs et États ?

La Cour retient qu’un tribunal arbitral constitué en vertu de l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie doit juger le litige qui lui est soumis à la lumière du TBI lui-même, et du droit de l’État défendeur à l’instance. Ce droit national comprend notamment le droit de l’UE. Il en résulte que le tribunal arbitral peut être amené à interpréter, voire à appliquer le droit de l’UE.

Dans un souci de cohérence et d’unité d’interprétation du droit de l’UE, la Cour considère que peuvent lui être soumis des renvois préjudiciels, procédures ouvertes à toute juridiction au sens de l’article 267 TFUE. En l’espèce, la CJUE estime que le tribunal arbitral ne constitue pas un « élément du système juridictionnel » établi aux Pays-Bas et en Slovaquie, ni une juridiction commune à plusieurs États membres du fait du caractère dérogatoire de la juridiction de ce tribunal. Dans ces conditions, un tribunal ainsi constitué ne peut pas être qualifié de « juridiction d’un État membre » conformément à l’article 267 du TFUE.La Cour examine si un tel renvoi préjudiciel pourrait être soumis à une juridiction étatique amenée à contrôler la sentence rendue par un tribunal arbitral, ce qui assurerait la pleine efficacité du droit de l’UE. Selon la CJUE, la sentence rendue par un tel tribunal arbitral n’est soumise qu’à un contrôle limité, notamment concernant la validité de la convention d’arbitrage, de sorte qu’un contrôle juridictionnel ne peut être exercé par la juridiction de contrôle. Il en résulte que les questions de droit de l’UE, sur lesquelles le tribunal arbitral aurait pu se prononcer, ne peuvent in fine être soumises à la CJUE, entravant ainsi la pleine efficacité et l’autonomie du droit de l’UE.

La CJUE distingue toutefois les recours en annulation des arbitrages d’investissement et ceux en matière d’arbitrages commerciaux, ces derniers étant fondés sur l’autonomie de la volonté des parties. L’arbitrage d’investissement tire sa compétence des traités par lesquels les États membres consentent à soustraire leurs différends de la compétence de leurs propres juridictions nationales, en faveur de tribunaux arbitraux. Les tribunaux arbitraux d’investissement ainsi constitués en interprétant ou appliquant le droit de l’UE pourraient être amenés à trancher un litige sans assurer la pleine efficacité du droit de l’UE.

Eu égard à ses conclusions sur les première et deuxième questions, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question relative à la compatibilité d’une clause d’arbitrage contenue dans un TBI avec le principe de non-discrimination prévu à l’article 18 du TFUE.

Par cet arrêt, la Cour considère que l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie porte atteinte à l’autonomie du droit de l’UE. Pour autant, la Cour s’abstient d’en tirer l’ensemble des conséquences.

 

Les implications de cet arrêt

1. L’annulation de la sentence Achmea ?

La première implication concerne la sentence du tribunal arbitral constitué pour juger de l’affaire Achmea. Il ressort de la demande de décision préjudicielle présentée par le Bundesgerichtshof (BGH) que si la Cour considére que l’article 8 du TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie est contraire au droit de l’UE, ce pourrait alors être un motif d’annulation de la sentence rendue en faveur d’Achmea. Par conséquent, les juridictions allemandes pourraient être amenées à annuler la sentence rendue par le tribunal arbitral.

2. Une portée limitée de l’arrêt de la CJUE ?

En premier lieu, si la Cour juge que « l’article 8 du TBI porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union », la solution adoptée ne concerne que le seul TBI Pays-Bas/Tchécoslovaquie et il serait téméraire de généraliser la solution à toutes les clauses d’arbitrage contenue dans un TBI.

En deuxième lieu, et en tout état de cause, les tribunaux arbitraux internationaux ne sont pas liés par une telle décision.
En troisième lieu, si la solution venait à être généralisée à d’autres TBI, la Cour a expressément exclu l’application de cette solution à l’arbitrage commercial.

En quatrième lieu, cette décision ne concerne que les clauses d’arbitrage contenues dans des TBI intra-européens. Seules les clauses des 196 TBI conclus entre des États membres pourraient être impactées par cette décision.

En cinquième lieu, parmi ces 196 TBI, certains contiennent une clause d’arbitrage au profit du CIRDI. Or, la Convention de Washington de 1965 instaurant le CIRDI, prévoit que les États Parties sont obligés de reconnaitre une sentence CIRDI directement, sans aucun contrôle, c’est-à-dire comme un jugement définitif de leurs propres tribunaux. Si donc les juridictions internes n’ont pas le pouvoir d’annuler, ni de refuser l’exequatur des sentences rendues sous l’égide du CIRDI, ces clauses ne pourront se voir affectées par la nouvelle jurisprudence de la CJUE.

3. Vers des arbitrages intra-UE avec un siège hors de l’UE ?

Pour les clauses d’arbitrage en matière d’investissement contenues dans des TBI intra-européens ne donnant pas compétence à un tribunal sous l’égide du CIRDI, il reste la possibilité de fixer le siège de l’arbitrage en dehors de l’UE.

Le lieu du siège de l’arbitrage déterminant le juge du recours en annulation compétent, il suffirait de choisir comme siège de l’arbitrage un pays tiers à l’UE. En effet, si un juge d’un pays tiers était saisi d’un recours en annulation, alors ce dernier, non soumis au droit de l’UE, et plus particulièrement à cet arrêt, ne devrait pas censurer une sentence rendue sur le fondement d’une clause d’arbitrage contenue dans un TBI intra-européen.

En pratique, cela aurait pour conséquence de déplacer le contentieux sur le terrain de l’exequatur, dès lors que la sentence rendue dans un pays tiers viendrait à être exécutée sur le territoire d’un État membre de l’UE.

Les juridictions des États membres sont soumises à diverses obligations conformément aux traités, et doivent notamment coopérer avec les institutions de l’UE.

Si la Convention de New-York limite le nombre de motifs pour lesquels une sentence arbitrale peut être annulée ou se voir refuser l’exequatur, cela se heurte au droit de l’UE et crée un conflit d’obligations pour les juridictions des États membres chargées de l’exequatur.

4. Vers l’utilisation de TBI conclus entre un État membre et un État tiers ?

Les investisseurs qui souhaiteraient intenter de nouvelles procédures arbitrales d’investissement pourraient se rassurer en se référant à un TBI conclu entre l’État membre défendeur et un État tiers à l’UE. La solution de l’arrêt de la CJUE ne serait alors pas applicable à cet arbitrage et la sentence arbitrale ne risquerait pas d’être annulée au titre d’incompatibilité avec le droit de l’UE, après un recours en annulation devant les juridictions d’un État-membre.

Cela pourrait être un effet pervers de l’arrêt qui aurait pour conséquence la restructuration des investissements vers des États tiers à l’UE.

5. De nombreuses questions restent en suspens

A. La renégociation des TBI en vigueur

Les clauses prévoyant le recours à l’arbitrage dans les TBI intra-européens doivent-elles être renégociées ou supprimées ?

B. L’impact sur les affaires en cours

Quelles conséquences pour les arbitrages en cours fondés sur des TBI intra-européens en cours ? Est-ce que les procédures arbitrales pendantes sont immédiatement affectées et doivent prendre fin de plein droit ? Est-ce qu’un investisseur peut se prévaloir du principe de confiance légitime s’agissant du droit positif applicable au début de la procédure ?

C. Les questions de compétence juridictionnelle

Les investisseurs doivent-ils désormais saisir les juridictions internes de l’État qui aurait violé les droits contenus dans le TBI ? Est-ce qu’un investisseur pourrait faire valoir que le dommage a été subi sur le territoire de son État d’origine et qu’ainsi les juridictions de l’État de nationalité de l’investisseur pourrait être compétentes pour juger des actes de l’État d’accueil de l’investissement ?

Enfin, est-ce que l’arrêt de la CJUE est également applicable aux procédures arbitrales fondées sur le Traité sur la Charte de l’Énergie actuellement en vigueur, dès lors que deux États membres sont impliqués ? Est-ce que le fait que l’UE soit elle-même Partie à ce Traité serait suffisant pour écarter l’application de cette jurisprudence à ces procédures ?

À l’analyse et avec un peu de recul, les arbitragistes restent sur leur faim. La CJUE tranche une question importante mais n’en tire pas toutes les conséquences, ce qui génère une certaine insécurité juridique et judiciaire.

Eu égard aux nombreuses questions qui restent en suspens, il sera passionnant de suivre les futures affaires et jurisprudences à venir, que ce soit au niveau de la CJUE ou à l’échelle des arbitrages d’investissement.


[1] « Examen par la CJUE de la validité de la clause d’arbitrage contenue dans un Traité Bilatéral d’Investissement conclu entre des États membres de l’UE » https://larevue.squirepattonboggs.com/Examen-par-la-CJUE-de-la-validite-de-la-clause-d-arbitrage-contenue-dans-un-Traite-Bilateral-d-Investissement-conclu_a3238.html