« Tout homme a dans sa vie, un « grand moment » quelque chose qui surpasse en intensité tout ce qu’il a connu et connaîtra jamais ».
Ainsi parlait Alex Haley.
Dans ma vie d’avocat, dans ma vie plus simplement, il y’aura deux 26 Juillet d’une très grande intensité :
- le 26 Juillet 2018, l’Assemblée générale de l’Ordre des Avocats du Sénégal me faisait l’honneur, de m’élire en qualité de Dauphin de M. le Bâtonnier MBAYE GUEYE, chargé après lui, de présider aux destinées de cet ordre auquel j’appartiens depuis près de 34 ans, ce, pour une durée de 3 ans.
- aujourd’hui, 26 Juillet 2019, un an jour pour jour après, voici venu pour moi, le moment d’assumer, d’assurer.
En cette circonstance, je dois avant toute chose, rendre grâce à Dieu, le Tout-Puissant, le Miséricordieux, sans la volonté de qui rien de tout cela ne se serait produit.
Quoique je m’en défende, je suis saisi, partagé entre deux envies :
La première envie consiste à jeter, ne serait-ce qu’un
clin d’œil sur le rétroviseur.
Je dis bien, quoique je m’en défende.
Je dis bien, un clin d’œil.
Cette envie me contraint en effet, de parler, un tant soit peu, de moi-même, exercice délicat, quelques fois périlleux.
J’ai en effet, à l’esprit, cette pensée de Blaise Pascal sur l’amour propre et la vanité de la nature humaine :
« le moi est haïssable »
Pour me défaire de cette perversion du moi, j’emprunterai une formule de Marcel PAGNOL :
« je ne vous parlerai de moi, ni en bien, ni en mal, car ce n’est pas de moi, que je parle, mais de l’enfant (Bâtonnier stagiaire), que je ne suis plus »
Jeter un clin d’œil sur le rétroviseur c’est, avant toute chose, prier pour mon père et ma mère, hélas disparus, qui ont fait de moi ce que je suis devenu.
L’histoire des hommes a ceci d’extraordinaire qu’elle vous offre des coïncidences saisissantes : le 26 Juin dernier, il y’a donc un mois jours pour jour, nous célébrions dans la prière, le dixième anniversaire de la disparition de ma mère.
J’aurais tellement aimé qu’ils fûssent là, tous les deux.
Jeter un clin d’œil sur le rétroviseur, c’est ouvrir le cahier d’un retour au village natal de Ségré-Gatta, que j’aime d’un amour viscéral, c’est rendre hommage à cette modeste famille sénégalaise, à laquelle j’appartiens, qui m’a vu naître et qui m’a entouré de ses soins et de son affection.
Ce village, cette famille sont largement représentés, dans cette salle.
C’est saluer tous les amis avec qui j’ai partagé les vicissitudes, les misères, quelques fois les succès d’un parcours scolaire et universitaire qui m’a conduit dans quatre écoles primaires et deux lycées, dans 5 localités du Sénégal, avant l’université de Dakar.
C’est dire ma gratitude à toutes celles et tous ceux qui, au cours de ce parcours quelques fois semé d’embûches, m’ont tendu une main secourable.
D’aucuns m’ont offert le gîte et le couvert, de quoi acheter des tickets de restaurant, de quoi confectionner les documents de travail et notamment le mémoire de maîtrise.
D’aucuns m’ont inculqué du savoir, accueilli dans leur cabinet.
Il y’a un homme qui, alors que j’entamais ma carrière d’avocat, m’a offert gratuitement, ainsi qu’à mes amis, le repas de midi pendant de longues années.
Jeter un clin d’œil sur le rétroviseur, c’est aussi et surtout de rappeler que la vie d’un être humain est rarement un long fleuve tranquille, puisqu’elle comporte des hauts et des bas.
La mienne n’a pas échappé à cette donnée statistique.
Sur ce chemin de la vie, j’ai été accompagné par des personnes avec qui j’ai échangé de l’affection, de l’empathie, de la confiance, de l’amitié, de l’amour.
Il y’en a beaucoup dans cette salle. Je les en remercie.
Mesdames, Messieurs,
Il ne vous a sans doute pas échappé que je ne suis plus tout à fait dans le rétroviseur, mais plutôt en immersion dans cette salle où se trouvent des femmes et des hommes avec qui je partage un vécu des valeurs, des sentiments.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont fait le déplacement en commençant par les autorités judiciaires.
Je m’associe pleinement à l’hommage qui vous a été rendu par le Bâtonnier Me Mbaye GUEYE.
C’est le moment pour moi de remercier du fond du cœur et féliciter mon épouse, qui m’accompagne depuis 30 ans, ainsi que ma belle-famille, pour laquelle j’ai un faible.
Je n’en dirai plus, car l’une et l’autre n’aiment pas les hommages publics.
Comment oublier mes associés, au premier rang desquels se trouve Me Guédel NDIAYE, qui, pour l’histoire, est le parrain de la dernière promotion d’avocats stagiaires qui a prêté serment le 24 Mai dernier.
Me Guédel NDIAYE m’a accueilli dans son cabinet le 02 Février 1989, il y’a donc 30 ans.
De lui, je dis souvent qu’il est foncièrement bon et qu’il est un homme de lumière qui abhorre la lumière : il fait des Premiers Ministres et des Bâtonniers, mais ne veut être ni l’un, ni l’autre.
Je confonds dans le même hommage à la fois les autres associés, les autres avocats, juristes et tout le personnel du cabinet Guédel NDIAYE & Associés (je vous demande de fermer les yeux sur cette publicité déguisée) qui est d’autant plus ma première famille, que je passe plus de temps avec eux, qu’avec quiconque.
Ils ont tous accepté sans rechigner, pour mieux dire, encouragé et soutenue mon projet de « Bâtonnat », tout en sachant que cela signifie pour chacune et chacun d’entre eux, plus de travail et surtout l’entretien matériel de quelqu’un qui va consacrer plus de temps à la collectivité, qu’au cabinet.
La deuxième envie consiste à regarder devant moi.
L’assemblée générale de l’Ordre des Avocats m’a confié un mandat, c’est-à-dire un contrat, une charge.
Elle me l’a confié parce que je l’ai demandé.
Mesdames, Messieurs,
Pour dire vrai, cette élection, sans rien retrancher au grand mérite des autres candidats, m’apparait, venant de mes consœurs et confrères, comme une chorale du cœur et de la raison :
- le cœur, d’abord : je crois avoir tissé avec chacune et chacun des membres de notre barreau, une relation toujours professionnelle, souvent personnelle empreinte de fraternité, de confraternité, d’amitié et d’empathie.
Les unes et les autres me l’ont bien rendu.
- la raison qui ici, ne s’éloigne d’ailleurs pas du cœur :
Elles et ils ont adhéré à des idées fortes que j’ai exposées dans une déclaration de candidature – je ne dis pas programme pour ne pas donner à penser que nous serions en politique – que je tiens à votre disposition, laquelle déclaration se termine par un aveu et une résolution.
« Je n’ignore pas qu’il est difficile, en trois (03) ans de mandat, de tout changer, d’apporter des solutions à tous les problèmes posés çà et là.
Je reste toutefois optimiste comme CANDIDE et fort de cette suggestion de MUSSET selon laquelle :
« pour réussir, retenez bien ces trois maximes :
voir, c’est savoir ;
vouloir, c’est pouvoir,
oser, c’est avoir ».
Je suis donc dans la position du lutteur qui a perçu une avance sur son cachet : il me faut accepter le combat, c’est à dire combattre.
Il faut d’ailleurs, souligner qu’à l’instar ou à la différence du champion de lutte, j’ai bénéficié, dans la position du Dauphin, de douze mois de recul, de réflexion, d’introspection.
Aujourd’hui, plus que jamais, je réaffirme URBI et ORBI (à la ville et au monde) que j’accepte ce mandat, avec la détermination de George WASHINGTON écrivant à son frère :
« j’ai entendu siffler les balles, crois m’en, il y’a quelque chose de délicieux dans ce bruit ».
Je l’ai déjà écrit le 27 Juillet 2018, je le répète hic et nunc, c’est-à-dire ici et maintenant, je remercie ab immo pectore, pour parler comme SENGHOR, mais plus simplement du fond du cœur, chacune et chacun des confrères membre de cette famille que je sens se souder de plus en plus fort tous les jours, je n’en dirai pas plus, pour ne pas dévoiler nos petits et grands secrets.
Je m’emploierai, dans mon action des trois (03) années à venir, à mériter tous les jours votre confiance.
Je dois, cela dit, vous faire un aveu.
Pendant mon année de réflexion, j’ai été encouragé, épaulé, formé et finalement adoubé par le Bâtonnier Mbaye GUEYE.
Je rappelais l’autre soir, au cocktail de bienvenue des avocats stagiaires que Mbaye GUEYE est certes, moins âgé et moins ancien que moi, mais en tout ce qui concerne la gestion, l’administration de l’Ordre, l’entretien de son rayonnement national et international, il est plus gradé que moi.
Mbaye GUEYE est inventif et généreux et l’une des preuves de son génie, réside dans cette cérémonie qu’il a souhaitée et mise en œuvre, pour rompre avec la relative confidentialité qui entourait jusqu’ici l’installation du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats.
Le 17 janvier 2019, au cours de la Rentrée Solennelle de Stage, j’égrenais déjà certains des actes posés par le Bâtonnier Mbaye GUEYE pour mettre à l’étrier le pied du Bâtonnier stagiaire que je ne suis plus :
- dans le secret de son bureau, il m’a quotidiennement enseigné les ficelles du métier ;
- il m’a fait installer dans un bureau confortable, avec une assistante à disposition ;
- il a accepté que d’aucuns me prennent pour le Bâtonnier en exercice et lui, pour l’ancien Bâtonnier, alors que son mandat n’était pas terminé ;
- il m’a pris par la main pour me présenter aux magistrats, pendant les visites de courtoisie, en m’offrant à chaque fois, un temps de parole.
- il m’a conduit hors de nos frontières, pour me présenter comme le futur époux de cette belle dame qu’est le Barreau du Sénégal, en indiquant chaque fois, que j’étais un beau parti.
Pour vous dire à quel point, mon avis sur la stature du Bâtonnier Mbaye GUEYE est partagé, je vous citerai deux exemples :
- Le Bâtonnier Mbaye GUEYE a été élu à l’unanimité de ses membres, Président de la Conférence des barreaux de l’UEMOA, ce qui explique et justifie la présence à cette cérémonie, de la quasi-totalité des Bâtonniers de cette union, certains accompagnés de leurs Dauphins.
C’est d’ailleurs, le lieu pour moi de remercier tous ces Bâtonniers, tous ces confrères, tous ces amis qui sont venus de loin, de très loin même, pour rehausser cette cérémonie de leur présence.
J’assimile cette présence, à une grande marque d’amitié et de confraternité que nous, Barreau du Sénégal nous efforçons de rendre en tout temps et en tous lieux.
- à Yaoundé, où nous nous sommes rendus le 05 Juin 2019, à l’invitation du Barreau du Cameroun, le Bâtonnier de Pointe-Noire, notre consœur Sylvie MOUYEKET a lancé un appel solennel au gouvernement camerounais et aux pouvoirs publics de l’Afrique Centrale en général, pour que l’exemple de communion et de fraternité que nous avons Mbaye GUEYE et moi-même – lui, Bâtonnier en exercice, moi Dauphin – s’étende et essaime au sein de leurs barreaux.
Le bilan du Bâtonnier Mbaye GUEYE à la tête de notre ordre est plus que reluisant, il est digne d’éloges puisqu’il a :
- rendu plus étroit et plus charnel, le rapport entre le Bâtonnier et les confrères, et accru l’attention des confrères pour les activités de l’Ordre.
- renforcé la solidarité de l’Ordre vis-à-vis des confrères en difficulté.
- contribué et raffermi la confiance, le dialogue et la collaboration sincère entre les magistrats et les avocats.
- amélioré les conditions de travail des avocats dans les Palais de justice par l’équipement des salles dédiées aux avocats et créé une salle informatique.
Au plan international, je rappelle que son engagement personnel pour l’effectivité du REGLEMENT N°5/CM/UEMOA RELATIF A L’HARMONISATION DES REGLES REGISSANT LA PROFESSION D’AVOCAT DANS L’ESPACE UEMOA lui a valu la confiance de ses pairs qui lui ont, à l’unanimité, confié la présidence de la Conférence des Barreaux de l’UEMOA.
Sous sa présidence, la Conférence a parachevé l’édiction des règlements d’exécution prévus par le règlement n°5, notamment :
- sur l’acte d’avocat ;
- sur le droit de plaidoiries ;
- sur le CAPA ;
- sur la formation initiale et continue ;
- sur l’exercice de la profession d’avocat ;
- sur le code de déontologie.
Pour conclure sur ce chapitre, je dirai que je suis témoin oculaire et auriculaire de la maîtrise, de l’autorité et du panache dont sait faire preuve le Bâtonnier Mbaye GUEYE dans ce cénacle de la Conférence des Barreaux de l’UEMOA.
Nous avons, en effet, du 05 au 07 Juillet dernier adopté les deux derniers règlements d’exécution que je viens de citer et pris rendez-vous du 30 Septembre au 04 octobre prochain à Lomé, pour le premier Congrès des Avocats de l’UEMOA.
Mbaye, pour des raisons tenant à nos croyances je n’en rajouterai pas.
Je te dirai toutefois tout simplement, mais très chaleureusement, très sincèrement.
Gacce Ngalama. Bravo, Bravo et Bravo.
J’ajouterai aussi :
« ne sois pas en retrait, ne prends pas la retraite, tu n’en as ni l’âge, ni le tempérament »;
Je te rappellerai d’ailleurs ta promesse de m’accompagner dans le dédale, que dis-je, les méandres des règlements de l’UEMOA, mais pas seulement.
que Dieu te protège et protège ta progéniture.
Je confonds, bien entendu, dans le même éloge, les deux Ibrahima du Bâtonnat :
- Ibrahima NDIEGUENE, le secrétaire général qui connait les lois par cœur et qui, fidèle comme Sancho PANZA, t’a assisté avec bonheur tout au long de ton mandat ;
- Ibrahima DIACK, secrétaire exécutif de l’Ordre, qui connait la maison comme sa poche, puisqu’il la tient à bout de bras depuis 30 ans
Je n’oublie pas les autres membres du personnel de l’Ordre.
Sans toutes ces personnes, rien ne serait possible.
Je m’en vais conclure.
Au regard de ce qu’a réussi le Bâtonnier Mbaye, il est évident que j’ai du pain sur la planche.
J’ai presque envie de dire, ¨LEKK NA THIOW¨.
Mais comme je l’ai dit tout à l’heure
« J’ai entendu siffler les balles, il y a quelque chose de délicieux dans ce bruit ».
J’ai confiance parce que vous m’avez investi de votre confiance.
La confiance des autres crée ou raffermit la confiance en soi, ce que confirme, le philosophe Charles PEPIN lorsqu’il écrit
« La confiance en soi vient d’abord des autres.
L’énoncé pourrait sembler paradoxal. Il ne l’est pas.
Le nouveau-né humain est infiniment fragile, dépendant. Les premiers mois, il ne peut vivre seul. Le simple fait qu’il survive est la preuve qu’il a été pris en charge par d’autres humains. La confiance en lui est donc d’abord une confiance en eux : la confiance en soi est d’abord une confiance en l’autre.
A la différence de l’estime de soi, qui renvoie au jugement que nous portons sur notre valeur, la confiance en soi engage notre rapport à l’action, notre capacité à « y aller » malgré les doutes, à nous risquer dans un monde complexe. Pour trouver ce courage de s’aventurer au dehors, il faut une « sécurité intérieure » »
Si un jour le doute venait à m’habiter, je me servirai d’un premier talisman.
Le propos d’un confère et ami, ancien Bâtonnier, avocat honoraire qui n’a pas pu se déplacer et qui m’a donc adressé une lettre d’excuses dans laquelle il m’écrit ceci :
« Je forme à votre endroit tous les vœux de réussite les plus chaleureux.
L’exercice de la fonction de Bâtonnier est à mes yeux, la plus gratifiante pour un avocat.
Être investi de la confiance de ses confrères, être appelé à les défendre, à les organiser, à concourir à leur formation et quelques fois à les … admonester est une immense responsabilité qui ne peut être assurée qu’avec passion, détermination et humilité.
La force de la défense s’inscrit au fronton de toutes les démocraties.
Il n’y a pas de démocratie sans justice, il n’y a pas de justice sans défense digne de ce nom.
Vous êtes désormais l’un des gardiens de la Démocratie Sénégalaise.
Je sais que vous serez vigilant, exigeant et déterminé. »
Si malgré tout, le doute devait persister, j’utiliserai un autre talisman, vraisemblablement plus radical.
Je sais que du fond des cieux, mes père et mère, prient pour moi.
Je sais qu’ils ne sont pas les seuls, suivez mon regard.
Dakar, le 26 Juillet 2019