La loi doit définir l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation quant à l’application d’une mesure de surveillance avec une clarté suffisante pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire.
En 2004, sur demande du procureur de la République, la 8ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul accorda l’autorisation d’écoute des communications téléphoniques de huit personnes, dont celle d’un avocat turc, pour une durée limitée à trois mois. Cette décision indiquait que ces numéros étaient utilisés pour contacter deux personnes recherchées par Interpol.
Par la suite, le procureur de la République à Istanbul ordonna à la Direction de sûreté d’Istanbul l’arrêt de l’exécution de la mesure de surveillance à l’égard du numéro de téléphone de l’avocat. Ces enregistrements furent détruits et aucune notification à son égard n’eut lieu. En 2005, alors qu’il examinait un dossier au greffe, l’avocat aperçut la lettre d’arrêt des écoutes. Il introduisit alors un recours en indemnisation contre les trois membres de la 8ème chambre de la cour d’assises d’Istanbul.
Il fut débouté devant les juridictions internes et saisit la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), alléguant que l’écoute téléphonique à son égard constituait une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Convention EDH), c’est à dire de son droit au respect de sa vie privée. Il affirmait n’avoir jamais été en contact avec lesdites personnes, ni les avoir représentées dans une affaire quelconque, même s’il avait été conseiller juridique dans l’une de leurs compagnies. Selon lui, la décision de mesure de surveillance n’avait pas été rendue par l’instance judiciaire compétente et il n’avait pas été informé de la mesure lorsque celle-ci avait pris fin.
Le 7 juin 2016, la CEDH a estimé qu’il y a violation de l’article 8 de la convention EDH et a condamné l’Etat défendeur à verser des dommages-intérêts au requérant pour préjudice moral.
Après avoir affirmé que l’écoute téléphonique à l’égard du requérant constituait une ingérence à son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance garanti par l’article 8 §1 de la Convention EDH, elle a précisé qu’il fallait vérifier si cette ingérence était justifiée au regard de l’article 8 §2, c’est-à-dire « prévue par la loi » et « nécessaire dans une société démocratique » à la poursuite de l’un des buts énoncés dans ce paragraphe.
Pour cela, elle a observé que la mesure de surveillance a été mise en œuvre dans le cadre d’une information judiciaire en application d’un article turc sur la lutte contre les associations de malfaiteurs. Elle a cependant rappelé que la notion de loi couvre aussi la qualité de celle-ci. La loi doit définir l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation quant à l’application d’une mesure de surveillance avec une clarté suffisante pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire. En l’espèce, elle a estimé que la législation appliquée à l’époque a été abolie à la suite des réformes judiciaires et qu’elle n’était donc pas appelé à examiner ces arguments.
Elle a ensuite précisé qu’une notification a posteriori à chaque individu touché par une mesure désormais levée risquerait de compromettre le but à long terme qui motivait à l’origine la surveillance.
Cependant, il est souhaitable selon elle d’aviser la personne concernée après la levée des mesures de surveillance dès que la notification peut être donnée sans compromettre le but de la restriction.
En l’espèce, elle a estimé que le gouvernement turc n’a pas indiqué de motifs raisonnables pour expliquer l’absence de notification de la mesure au requérant, laquelle faisait obstruction de manière essentielle à la possibilité d’introduire un recours.
La CEDH a donc estimé qu’il n’existait pas de garanties adéquates et effectives contre les abus éventuels des pouvoirs de surveillance de l’Etat quant aux écoutes autorisées par un tribunal dans le cadre de l’information judiciaire concernant le requérant.
Cet élément lui a suffit pour conclure que la loi en vigueur à l’époque des faits et appliqué au cas du requérant ne possédait pas la qualité requise. L’écoute téléphonique à l’égard du requérant n’était donc pas « prévue par la loi ». Elle en a conclu qu’il n’est pas en l’espèce nécessaire de rechercher s’il s’agissait d’une mesure « nécessaire dans une société démocratique ».
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