Ce que prévoit la loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme

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New French Justice Minister Jean-Jacques Urvoas is pictured during a press conference following a meeting on the situation of migrants in Calais on February 3, 2016 at the Interior ministry in Paris.  / AFP / Geoffroy Van der Hasselt

New French Justice Minister Jean-Jacques Urvoas is pictured during a press conference following a meeting on the situation of migrants in Calais on February 3, 2016 at the Interior ministry in Paris. / AFP / Geoffroy Van der Hasselt

Le Parlement a définitivement adopté la loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme dans sa version issue de l’accord de la Commission mixte paritaire, qui a été considérablement étoffée par rapport au projet présenté par le gouvernement.

Loi n° 2016-731, 3 juin 2016, JO 4 juin

La loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, dans sa version issue de l’accord de la Commission mixte paritaire (D. Goetz, Terrorisme : accord de la Commission mixte paritaire, Dalloz actualité, 18 mai 2016 ). Alors que le projet de loi présenté par le gouvernement ne comportait que 34 articles (C. Fleuriot, Ce que prévoit la réforme de la procédure pénale, pour l’après état d’urgence, Dalloz actualité, 7 janv. 2016 ), il s’est considérablement étoffé après son passage à l’Assemblée nationale (C. Fleuriot, Terrorisme : les députés valident les grandes lignes de la réforme de la procédure pénale, Dalloz actualité, 7 mars 2016 ) et au Sénat (C. Fleuriot, Terrorisme : le Sénat durcit les conditions d’exécution et d’aménagement des peines, Dalloz actualité, 4 avr. 2016 ), pour atteindre 120 articles. Il convient de revenir sur les principales dispositions de ce texte, qui, à quelques exceptions près, sont entrées en vigueur dès la publication de la loi.

Nouveaux actes d’investigation

La présente loi élargit considérablement les pouvoirs d’enquête et d’instruction en matière de criminalité organisée, par l’extension d’actes d’investigation précédemment réservés à l’instruction ou par la création de nouveaux actes d’investigation. L’article 706-90 du code de procédure pénale contient désormais un nouvel alinéa permettant au juge des libertés et de la détention (JLD) d’autoriser, en matière terroriste uniquement, les perquisitions de nuit dans les locaux d’habitation durant l’enquête préliminaire. Jusqu’alors, si les perquisitions de nuit étaient possibles en enquête de flagrance et durant l’information judiciaire dans les locaux d’habitation, elles ne pouvaient pas concerner des locaux d’habitation en enquête préliminaire. Dans tous les cas, le juge autorisant une perquisition de nuit devra, outre les éléments de motivation qui étaient déjà exigés par l’article 706-92, justifier de l’impossibilité de la réaliser pendant les heures prévues à l’article 59 du code de procédure pénale. Par ailleurs, les sonorisations et fixations d’images, qui n’étaient possibles que durant l’information judiciaire, le sont désormais également durant l’enquête, aussi bien de flagrance que préliminaire (C. pr. pén., art. 706-96), tout en restant réservées à la criminalité organisée. C’est, là encore, le JLD qui pourra délivrer l’autorisation d’y procéder durant l’enquête.

Les nouveaux actes d’investigation créés par la présente loi suivent la même logique : s’ils sont réservés aux investigations entrant dans le champ d’application de la criminalité organisée, ils seront possibles durant l’enquête sur autorisation du JLD ou durant l’information judiciaire. Il s’agit de l’accès à distance aux correspondances électroniques accessibles au moyen d’un identifiant informatique (C. pr. pén., art. 706-95-1 s.), du recours aux IMSI-catchers (C. pr. pén., art. 706-95-4 s.) ou encore de l’accès à distance à des données stockées sur un système informatique (C. pr. pén., art. 706-102-1), là où l’ancien article 706-102-1 ne permettait que la captation de données en temps réel. Tous ces actes sont particulièrement attentatoires à la vie privée et font par conséquent l’objet d’un encadrement dont on peut se demander s’il est suffisant. Outre l’autorisation donnée par le juge d’instruction ou le JLD, qui se voit confier des prérogatives de plus en plus importantes, le recours à ces actes est limité dans le temps. S’agissant des sonorisations et fixations d’images, elles peuvent être autorisées pour un mois, renouvelable une fois, durant l’enquête, et pour deux mois, renouvelables dans la limite de deux ans, durant l’instruction (C. pr. pén., art. 706-98). Il s’agit là d’un apport intéressant de cette loi, puisque l’ancien article 706-98 ne prévoyait pas de limitation dans le temps. S’agissant des IMSI-catchers, dispositifs particulièrement attentatoires à la vie privée permettant de capter toutes les données et les correspondances transitant autour de l’appareil mobile utilisé, ils font l’objet d’un encadrement variable selon l’objectif dans lequel ils sont utilisés. Lorsqu’il s’agit de recueillir les données techniques de connexion, ils peuvent être utilisés pour un mois renouvelable une fois durant l’enquête et pour deux mois renouvelables dans la limite de six mois durant l’instruction. En revanche, lorsqu’ils sont utilisés pour intercepter les correspondances émises ou reçues, ils ne peuvent être autorisés que pour quarante-huit heures renouvelables une fois. Il est à noter que le procureur de la République pourra, en cas « d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens », délivrer une telle autorisation qui devra être confirmée par le JLD dans les vingt-quatre heures. Cela est particulièrement contestable, car cet acte est particulièrement attentatoire à la vie privée et l’autorisation préalable d’un juge, qui doit pouvoir statuer en urgence si nécessaire, paraît primordiale.

Création de nouveaux délits et aggravation de la répression

La présente loi, comme toutes les précédentes lois en matière de terrorisme, crée de nouveaux délits terroristes et augmente la répression de ces infractions. Ainsi, à l’initiative du Sénat, deux nouveaux délits terroristes sont créés : l’extraction, la transmission ou la reproduction de données faisant l’apologie du terrorisme pour entraver leur retrait ou leur blocage judiciaire ou administratif (C. pén., art. 421-2-5-1) ainsi que la consultation habituelle d’un site internet faisant l’apologie du terrorisme ou y provoquant (C. pén., art. 421-2-5-2). Si la pertinence de la création de ces délits est contestable, le législateur a cependant prévu que les dispositions dérogatoires en matière de garde à vue et de perquisition des articles 706-88 et suivants ne leur étaient pas applicables. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures ainsi que le report de l’assistance par un avocat ne pouvait se justifier que par le risque d’atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes (Cons. const., 9 oct. 2014, n° 2014-420/421 QPC, Dalloz actualité, 15 oct. 2014, obs. M. Léna  ; D. 2014. 2278 , note A. Botton  ; AJ pénal 2014. 574, note J.-B. Perrier ), ce qui ne peut pas être le cas des délits nouvellement créés. Par ailleurs, la présente loi étend le champ d’application du délit de non-dénonciation d’un crime lorsqu’il constitue une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation : désormais, pour ces infractions, l’existence de liens familiaux avec l’auteur de l’infraction ne constitue plus un fait justificatif.

À l’initiative de l’Assemblée nationale, la période de sûreté pour les infractions terroristes est augmentée. Le nouvel article 421-7 du code pénal prévoit, comme pour le meurtre d’un mineur accompagné de tortures ou actes de barbarie ou le meurtre d’un représentant de l’autorité publique, que la cour d’assises pourra porter à trente ans la période de sûreté pour les crimes terroristes punis de la réclusion criminelle à perpétuité, ou décider qu’aucune des mesures énumérées à l’article 132-23 ne pourra être accordée au condamné. À propos de période de sûreté, le Sénat a inséré une disposition (C. pr. pén., art. 716-4 et 720-3) qui n’est pas propre au terrorisme mais qui vise à mettre un terme au débat qui a surgi ces dernières années quant à la pluralité de périodes de sûreté et à ses modalités de calcul (V. L. Griffon, La computation de la période de sûreté, AJ pénal 2013. 591  ; D. Boccon-Gibbod et B. Laurent, Période de sûreté et pluralité des peines : un autre regard, AJ pénal 2014. 101 ), en adoptant la position qui prévalait jusqu’alors et qui était issue d’une circulaire (Circ. AP 98-01 du 19 mars 1998). Pour ce qui est de l’exécution de la peine privative de liberté, l’apport le plus important et le plus contesté (CNCDH, Avis sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, ass. plén., 17 mars 2016, p. 13) est la création d’un service de renseignement pénitentiaire : les agents habilités pourront être autorisés, sous le contrôle du procureur de la République, à recourir à toute une série d’actes attentatoires à la vie privée, y compris à l’IMSI-catching. Enfin, les conditions d’octroi de la libération conditionnelle des personnes condamnées pour terrorisme seront renforcées (C. pr. pén., art. 730-2-1).

De nouvelles dispositions relatives au trafic d’armes sont insérées aux articles 222-52 et suivants du code pénal. En matière d’armes, la loi prévoit désormais l’interdiction de détention d’armes de catégorie B et C pour les personnes dont le bulletin n° 2 comporte une condamnation pour une des infractions visées à l’article L. 312-3 du code de la sécurité intérieure. Cette formulation est regrettable, car cela peut s’apparenter à une peine automatique contraire à la Constitution (Cons. const., 29 sept. 2010, n° 2010-40 QPC, D. 2010. 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail  ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay  ; AJ pénal 2010. 501, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2011. 531, obs. A. Darsonville  ; RSC 2011. 182, obs. B. de Lamy  ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ).

Renforcement des contrôles administratifs et fait justificatif d’usage de l’arme

Cette loi a particulièrement été contestée en raison de l’augmentation des contrôles administratifs qu’elle permet (V. M. Babonneau, État d’urgence : l’autorité judiciaire « marginalisée », l’État de droit « menacé », Dalloz actualité, 18 janv. 2016  ; Les barreaux européens condamnent à l’unanimité le projet de loi Urvoas, Dalloz actualité, 25 févr. 2016 ). D’une part, cette loi permet, outre les contrôles d’identité et les visites des véhicules, l’inspection visuelle et la fouille administrative des bagages aux fins de recherche et de poursuites de certaines infractions (C. pr. pén., art. 78-2-2, III). Jusqu’alors, la fouille des bagages ne pouvait être réalisée que dans le cadre d’une enquête ou d’une information judiciaire et elle devient désormais possible dans le cadre d’un contrôle administratif.

Une autre disposition phare en la matière est la création d’une nouvelle retenue de quatre heures applicable aux personnes dont le contrôle ou la vérification de l’identité « révèle qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste » (C. pr. pén., art. 78-3-1). La personne retenue bénéficie de bien peu de droits par rapport à l’audition libre ou à la garde à vue. Elle ne bénéficie notamment pas du droit à un avocat. Or, sauf à vouloir éluder les droits de la défense, l’intérêt de cette retenue semble très faible, l’intéressé pouvant être placé en garde à vue s’il y a des raisons plausibles de penser qu’il a commis ou tenté de commettre un ou plusieurs actes terroristes. En outre, cette retenue contourne les garanties de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des questions sur sa conventionnalité ne manqueront pas de se poser.

Autre disposition qui a fait parler d’elle, la présente loi crée un nouveau fait justificatif pour les policiers ou les gendarmes qui font usage de leur arme. Le nouvel article 122-4-1 prévoit ainsi une irresponsabilité pénale pour le policier ou le gendarme « qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme ». Par rapport au projet de loi présenté par le gouvernement, ce fait justificatif a été plus rigoureusement encadré par les parlementaires. On peut cependant douter de son utilité, puisque les cas qu’il vise peuvent être englobés dans le cadre de la légitime défense ou de l’état de nécessité. Cet article a cependant, indéniablement, une portée symbolique.

Dispositions générales de procédure pénale

Enfin, la présente loi apporte toute une série de modifications au code de procédure pénale, au-delà de la criminalité organisée et du terrorisme. S’agissant de l’amélioration des garanties de la procédure pénale, l’apport est bien faible. On peut noter toutefois la possibilité pour une personne qui a fait l’objet d’une audition libre ou d’une garde à vue de demander au parquet, un an après le premier acte, de consulter le dossier de la procédure (C. pr. pén., art. 77-2), permettant ainsi de renforcer le contradictoire au stade de l’enquête. Dans le même objectif, un article 61-3 prévoit désormais la possibilité de se faire assister par un avocat à l’occasion d’une opération de reconstitution de l’infraction ou à l’occasion d’une séance d’identification des suspects dont elle fait partie. L’élargissement du droit à l’avocat durant l’enquête reste bien faible : on aurait par exemple pu l’envisager à l’occasion d’une perquisition. À noter, le gardé à vue pourra être autorisé à communiquer directement, par téléphone, par écrit ou à l’occasion d’un entretien, avec un de ses proches ou avec son employeur (C. pén., art. 63-1, II). La loi limite le recours aux écoutes téléphoniques : alors qu’elles pouvaient être renouvelées indéfiniment par le juge d’instruction, les écoutes téléphoniques sont désormais limitées à un an, ou à deux ans en matière de criminalité organisée. La loi insère également un nouvel article 56-5 afin d’encadrer les perquisitions dans les locaux d’une juridiction. L’affaire Paul Bismuth, ayant conduit à une perquisition dans les locaux de la Cour de cassation, avait montré toute l’importance d’un encadrement légal de cet acte (Crim. 22 mars 2016, n° 15-83.205, Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini  ; D. 2016. 713  ; AJ pénal 2016. 261, obs. P. de Combles de Nayves ).

D’autres articles de la présente loi visent à simplifier la procédure pénale et permettent, entre autres, la possibilité pour le procureur de la République de requérir l’officier de police judiciaire d’un autre ressort territorial, la facilitation des notifications des convocations au tribunal correctionnel, l’élargissement des cas de recours aux pouvoirs de recherche d’une personne en fuite, la création d’une plateforme nationale des interceptions judiciaires, l’assouplissement des règles relatives au défaut criminel ou encore la possibilité de recourir à des caméras mobiles fixées sur l’épaule des officiers ou agents de police judiciaire. D’autres articles visent encore à améliorer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En définitive, si cette loi contient certains éléments intéressants, afin d’adapter la législation aux nouvelles techniques d’investigation, les dispositions visant à améliorer les garanties de procédure sont bien faibles, et, surtout, les pouvoirs de police administrative sont considérablement accrus, ce qui est critiquable quant au respect des garanties constitutionnelles et conventionnelles.

par Sébastien Fucinile 14 juin 2016