Avis : nécessité d’une question de pur droit

Jurisprudence

La demande d’avis qui implique l’examen de circonstances de fait n’entre pas dans les prévisions des textes relatifs à la procédure d’avis.

Cass., avis, 23 mai 2016, n° 16-70.002

Avis de Mme Vassalo-Pasquet, avocat général

Saisie d’une demande d’avis formulée par un tribunal de grande instance, la Cour de cassation devait répondre à la question de savoir quelle était la juridiction territorialement compétente pour connaître de la demande d’annulation d’un acte d’état civil établi par une commune.

La question était ainsi rédigée : « Quelle est la juridiction compétente territorialement en Maine-et-Loire pour décider de l’annulation d’un acte d’état civil de la commune de la Salle-de-Vihiers ».

La Cour de cassation refuse de répondre à la question posée. Au visa des articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, elle relève que la demande portait sur la détermination de la juridiction territorialement compétente pour connaître de l’annulation d’un acte d’état civil transcrit sur le registre d’une commune déterminée, ce qui impliquait l’examen des circonstances de l’espèce. Il s’agissait d’examiner les conditions dans lesquelles la demande d’annulation est formée, de la qualité de son auteur et, le cas échéant, du lieu de sa résidence. Par conséquent, la question n’entrait pas dans les prévisions des textes visés relatifs à la procédure d’avis.

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle que toute demande d’avis qui lui est adressée doit satisfaire à des conditions de forme et de fond. S’agissant de la forme de la question, elle est régie par l’article 1031-1 du code de procédure civile. S’agissant des conditions de fond, il résulte de l’article L. 411-1 visé que l’avis peut être sollicité « sur une question de droit nouvelle, une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». La question formulée par les juges du fond doit être clairement déterminée, elle doit être inédite mais elle doit aussi être de pur droit. Dès lors, une demande d’avis ne saurait donc être formulée si la question posée à la Cour de cassation est mélangée de fait et de droit (V. Cass., avis, 8 oct. 1993, n° 09-30.012, Bull. civ. n° 12 ; 8 oct. 2007, n° 0070011 P, Dalloz actualité, 19 oct. 2007, obs. V. Avena-Robardet  ; 12 déc. 2011, n° 11-00.007, Bull. civ. n° 9 ; 17 déc. 2012, n° 12-00.013, Bull. civ. n° 1 ; 26 mai 2014, n° 14-70.004, Dalloz jurisprudence). Selon une position constante de la Cour de cassation, il en va aussi de même lorsque la question posée induit l’examen de situations concrètes, nécessairement soumises à un débat contradictoire devant les juges du fond (V. Cass., avis, 11 mars 1994, n° 09-40.003, Bull. civ. n° 9 ; 3 oct. 1994, n° 09-40.016, Bull. civ. n° 20).

Parce qu’elles ne concernent pas des questions de pur droit, de telles demandes ne relèvent pas de la fonction consultative de la Cour de cassation que traduit la procédure d’avis. Cette procédure permet de bénéficier du rôle d’unification du droit qui est classiquement dévolue à la haute juridiction. C’est à la mission d’interprétation du droit que renvoie la saisine pour avis. Il est donc nécessaire que la question posée se limite à des considérations de pur droit. Si, comme l’a rappelé l’avocate générale Vassalo-Pasquet dans ses conclusions, « sous couvert d’une telle demande, la Cour ne saurait se substituer aux juridictions du fond », il faut aussi relever, sous prétexte d’une demande d’avis, les juges du fond ne peuvent solliciter un avis en dehors d’un cadre purement juridique. Reste alors à déterminer ce qu’est une question de pur droit. C’est une question qui ne nécessite pas l’examen de considérations de fait liées à la situation concrète des plaideurs et qui peut donc se poser objectivement, de la même façon pour tous les litiges.

En l’occurrence, ce n’était pas le cas. La question posée était relative à la détermination de la juridiction territorialement compétente en matière d’annulation d’un acte d’état civil. Régie par l’article 1048 du code de procédure civile, cette compétence impliquait l’examen de considérations factuelles relatives, notamment, à la détermination de l’identité du demandeur, au lieu où demeure le demandeur, éventuellement au lieu où a été établi l’acte visé, etc. Il fallait donc examiner les faits du litige pour répondre à la question posée, laquelle ne pouvait donc être considérée comme une question de pur droit.

Cette condition de la saisine pour avis a un intérêt majeur. Elle évite « que la Cour de cassation ne se transforme en bureau de consultations gratuites [car] elle n’est pas là pour faire le travail des juges du fond à leur place » (V. Rép. pr. civ.,  Cour de cassation, par J. et L. Boré, nos 205 s.).

par Mehdi Kebir le 13 juin 2016