SENENEWS.COM S’il y’a un feuilleton judiciaire qui continue de défrayer la chronique dans le continent c’est bien l’affaire Hissène Habré. Le procès du dictateur tchadien emprisonné au Sénégal fait couler beaucoup d’encre et de salive sur le plan international.
porte-parole de l’ONG Human Rights Watch Reed Broody maitrise est très bien placé pour parler de fond en comble de ce procès. Dans un entretien accordé au site de l Ong Human Right Watch, ce conseiller juridique qui travaille avec les victimes depuis 1999, a expliqué l’impact de ce procès pour le Tchad ainsi que sa portée pour la lutte contre l’impunité en Afrique.
«Le rôle des survivants comme protagonistes de cette affaire a été très important, non seulement parce qu’ils sont à l’origine de la plainte déposée contre Hissène Habré au Sénégal en 2000, mais également grâce à l’interminable campagne qu’ils ont menée afin de le traduire en justice. Des victimes tchadiennes accompagnées d’ONGs se sont rendues maintes fois au Sénégal afin de faire connaître l’affaire Habré auprès l’opinion publique, de la presse et des politiques, notamment Macky Sall, alors un leader de l’opposition qui, à la suite de son élection en 2012, a exigé la tenue d’un procès. En 2001, après que les tribunaux sénégalais se soient déclarés incompétents pour poursuivre l’affaire, les victimes se sont tournées vers la Belgique en vertu de sa loi de compétence universelle. C’est l’intervention personnelle des victimes auprès des politiques belges qui a arraché une disposition transitoire permettant le maintien de l’affaire en dépit de l’abrogation de la loi belge. Cette manifestation des victimes a créé un soutien en Belgique qui a été déterminant pour que le gouvernement porte le cas devant la Cour internationale de Justice (CIJ) qui, en 2012, a ordonné au Sénégal de poursuivre Habré « sans autre délai », à défaut de l’extrader», révèle le conseiller juridique.
Selon ce dernier la posture de victime de Habré pour assurer sa défense est remise en cause et cassée par la visibilité du collectif des victimes tchadiens.
«Cette visibilité dont jouissent les victimes affaiblit la stratégie principale de défense de Habré consistant à se présenter lui-même comme une victime. Lors de son arrestation en 2013 par exemple, la femme de Habré s’est plainte, dans une larmoyante lettre ouverte adressée au Président Macky Sall, de l’interruption de leur vie de famille. Deux jours plus tard, une veuve tchadienne du régime Habré, Khaltouma Daba, a répondu dans une lettre que sa vie de famille fut brisée le jour de l’enlèvement de son mari par la police politique d’Habré, en précisant qu’elle n’eut pas la chance – contrairement à Mme Habré – de savoir où se trouvait son mari. Le portrait de Daba est paru dans tous les journaux sénégalais. Le mois dernier, en réponse au communiqué des avocats de Habré annonçant que ce dernier refuserait de comparaître devant la Cour (le juge pouvant toutefois l’y contraindre), le président fondateur de l’Association des victimes Souleymane Guengueng a ironisé dans la presse sénégalaise en demandant si l’ancien dictateur autrefois omnipotent, ne manquait pas de courage aujourd’hui pour affronter le regard et les témoignages des survivants de son régime».
Selon l’affaire Habré est si grave que lorsqu’elle est évoquée aussi bien au Sénégal qu’au Tchad des souvenirs douloureux se réveillent.
«Au Sénégal et au Tchad, l’affaire Habré est associée aux survivants tels que Souleymane Guengueng et Clément Abaifouta qui fut autrefois contraint d’enterrer ses codétenus dans des charniers, mais qui est aujourd’hui président de l’association des victimes. Quand cette affaire est évoquée, on pense aussi à des prisonniers martyrs comme Rose Lokissim, et à l’avocate des victimes Jacqueline Moudeina, victime d’une tentative d’assassinat et récompensée pour son courage par plusieurs prix internationaux. Au Sénégal, l’affaire est également associée à Abdourahmane Guèye, un Sénégalais rescapé des prisons de Habré et qui travaille sans relâche pour la justice en faisant le lien avec les victimes tchadiennes. Si l’on pense au récent épisode du Président Soudanais Omar al-Béchir fuyant la justice en Afrique du Sud, il aurait été intéressant de voir un face-à-face entre des victimes du Darfour et lui».
Amadou Lamine MBAYE