Absence de recel en cas de dissimulation de donations non rapportables et non réductibles

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Conformément à l’article 778 du code civil, il ne peut y avoir de recel lorsque la donation dissimulée n’est ni rapportable ni réductible puisque dans ce cas il n’y a pas atteinte à l’égalité du partage.

Civ. 1re, 25 mai 2016, FS-P+B+I, n° 15-14.863

Après avoir précisé il y a quelques mois que, selon l’article 778 du code civil tel qu’issu de la loi du 3 juin 2006, le recel ne peut être constitué par la dissimulation d’une donation de deniers par un usufruitier (Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-18.906, Dalloz actualité, 18 sept. 2015, obs. R. Mésa  ; Civ. 1re, 9 sept. 2015, n° 14-18.906, AJ fam. 2015. 629, obs. C. Vernières  ; RTD civ. 2015. 925, obs. M. Grimaldi ), la Cour de cassation, par l’arrêt du 25 mai 2016, se prononce sur le fait de savoir si, toujours selon cet article, il peut l’être par la dissimulation de donations consenties hors part successorale.

En l’espèce, un homme laisse pour lui succéder son épouse, légataire de la totalité de la succession en usufruit, un fils né de cette union, légataire de la quotité disponible, et un autre né d’un précédent lit. Divers éléments de la succession sont dissimulés à ce dernier dont un compte-joint et deux donations en nue-propriété de biens immobiliers. Si les juridictions du fond retiennent à l’encontre du fils commun le recel pour ces deux dissimulations, la Cour de cassation réfute cette qualification concernant les donations car elles n’étaient ni rapportables ni réductibles et donc insusceptibles de rompre l’égalité du partage.

Le recel se définit, selon la jurisprudentielle classique, comme « toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre l’égalité du partage quels que soient les moyens employés pour y parvenir » (Civ. 15 avr. 1890, DP 1890. 1. 437). Il nécessite la réunion d’un élément intentionnel, l’intention frauduleuse de porter atteinte à l’égalité du partage, et d’un fait matériel permettant d’y parvenir. Dès lors, les moyens pouvant aboutir à la qualification de recel sont nombreux et la dissimulation d’une libéralité en fait partie comme le confirme l’article 778 C. civ. introduit par la loi de 3 juin 2006. Cependant, il ne suffit pas que l’auteur taise l’existence d’une donation faite à son profit pour que le recel soit constitué, il faut que cela porte atteinte à l’égalité du partage. Ainsi, la Cour de cassation admet logiquement que les donations rapportables puissent faire l’objet d’un recel (par ex. Civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 09-65.903, Dalloz actualité, 11 mai 2010, obs. P. Guiomard ), le rapport dû par les cohéritiers étant garant de l’égalité du partage. La question des donations qui ne sont pas soumises au rapport, soit parce qu’elles sont faites hors part successorale (C. civ., art. 843, al. 2) soit parce qu’elles gratifient une personne qui n’est pas tenue au rapport (C. civ., art. 843, al. 1er), est en revanche plus délicate. Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 3 juin 2006, la Cour de cassation a admis que les donations non rapportables mais réductibles (Civ. 30 mars 1898, DP 1899. 1. 23 ; 30 déc. 1947, JCP 1948. II. 4591, note Voirin) pouvaient être l’objet d’un recel et qu’il en était de même pour celles qui n’excédaient pas la quotité disponible parce qu’il devait en être tenu compte dans les opérations de liquidation (Civ. 1re, 19 juill. 1954, Bull. civ. I, n° 250 ; 30 mai 1973, Bull. civ. I, n° 72-11.746, n° 188 ; D. 1974. 1 ; RTD civ. 1974. 439, obs. Savatier ; JCP 1975. II. 17921, note Thuillier ; Defrénois 1974, art. 30499 ; 19 juill. 1989, n° 88-11.323, Bull. civ. I, n° 300 ; 19 juill. 1989, n° 88-11.323, RTD civ. 1992. 424, obs. J. Patarin  ; Defrénois 1989, art. 34633, obs. G. Champenois ; 27 mai 2010, n° 09-66.435). Le gratifié se devait ainsi de révéler toutes les libéralités qu’il avait reçues. Puis, par deux arrêts très commentés, les juges sont revenus sur cette solution (Civ. 1re, 20 oct. 2010, n° 09-16.157, Bull. civ. I, n° 211 ; D. 2011. 622, chron. N. Auroy et C. Creton  ; AJ fam. 2010. 549, obs. C. Vernières  ; RTD civ. 2011. 161, obs. M. Grimaldi  ; Dr. fam. 2010, n° 190, obs. B. Beignier ; JCP N 2010. Actu. 748 ; 26 janv. 2011, n° 09-68.368, Bull. civ. I, n° 19 ; D. 2011. 442  ; ibid. 622, chron. N. Auroy et C. Creton  ; AJ fam. 2011. 165  ; JCP 2012. 391, obs. R. Le Guidec ; Dr. fam. 2011, n° 38, note B. Beignier).

Toutefois, ces espèces avaient ceci de particulier qu’en l’absence d’héritier ab intestat, le légataire à titre universelle ne pouvait devoir aucun rapport ni aucune réduction à un autre légataire, fut-il à titre universel. La donation n’était pas même susceptible d’être réduite. La question pouvait donc se poser de la portée d’une telle solution et de ce qu’il en était en présence d’héritiers réservataires (en ce sens v. les obs. de N. Auroy et C. Vernières ss. Civ. 1re, 20 oct. 2010, préc.).

La Cour de cassation n’a pas eu l’occasion d’y répondre puisque pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, il convient d’appliquer l’article 778 du code civil selon lequel « lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part ». Ainsi, par l’arrêt du 25 mai 2016, la Cour de cassation, pour la première fois, se prononce sur ce point sous l’empire de la loi de 2006. Elle affirme qu’en présence d’héritiers réservataires, la dissimulation d’une donation non rapportable, susceptible d’être réduite mais qui n’est pas effectivement réductible, ne peut caractériser un recel. Certes, on peut regretter cette solution car une telle donation peut en présence d’héritiers réservataires influer sur le résultat du partage en diminuant la masse partageable et en rendant, peut-être, réductible une autre libéralité qui ne l’était pas tant que la première était dissimulée (C. Vernières et N. Auroy, obs. ss. Civ. 1re, 20 oct. 2010 préc. ; B. Vareille, Indivisions, successions, libéralités, Defrénois 2011, n° 7, p. 733). Cependant, elle est à n’en pas douter conforme tant à la lettre de l’article 778 du code civil qu’à son esprit puisqu’il commande de prendre en compte la gravité des sanctions appliquées en cas de recel, privation de tout droit sur la donation, au regard d’une libéralité qu’un auteur avait entièrement le droit de retenir.

Site de la Cour de cassation

par Delphine Louisle 14 juin 2016