Sénégal : les quatre enseignements du référendum constitutionnel

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Par Amadou Ndiaye (contributeur Le Monde Afrique, Dakar). Le Monde.fr Le 22.03.2016 à 13h31

Le référendum du 20 mars a livré ses premiers résultats au Sénégal : le « oui » arrive en tête. Les Sénégalais étaient appelés à donner leur avis sur une réforme institutionnelle qui, selon le président Macky Sall, doit aider à consolider la démocratie sénégalaise. La réduction du mandat présidentiel a été le point d’attraction du projet de réforme. Un projet qui passe, certes, mais qui impose également certains constats selon des analystes interpellés par Le Monde Afrique. En quatre points, les leçons à tirer d’un référendum hautement politique.

Un référendum inédit

Le référendum du 20 mars 2016 est inédit parce qu’il a réussi à maintenir le suspense jusqu’à la tombée des résultats. Rien n’a été gagné d’avance.

Il est aussi singulier au vu des faibles performances enregistrées. Selon les premières estimations livrées par la presse, le « oui » l’emporterait sur le « non » avec une différence qui ne dépasse pas 10 points : 55 % contre 45 %. Les résultats définitifs devraient être annoncés au plus tard vendredi 25 mars.

Le faible taux de participation est aussi une première pour un référendum au Sénégal, il tourne aux environs de 40 %. Depuis l’indépendance du pays, en 1960, le taux le plus faible enregistré pour un référendum était de 94 %. C’était en 2001, sous la présidence d’Abdoulaye Wade, et la consultation populaire portait sur l’approbation de la nouvelle Constitution du Sénégal.

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Tout au long de la journée de dimanche, les bureaux de vote n’ont pas affiché de grande affluence. « Le profil de ceux qui se sont abstenus est celui de citoyens qui n’ont su faire confiance ni à celui qui a soumis le projet de réforme, ni à ceux qui ont souhaité son rejet », a soutenu l’analyste politique Mamoudou Wane, joint par Le Monde Afrique.

Le référendum est inédit par sa dimension hautement politique. Le président Macky Sall et son gouvernement ont mené campagne sur le terrain, tout comme les chefs de l’opposition, au point que le débat a été personnalisé, faisant passer au second plan la réforme elle-même. Du coup, les Sénégalais ont plus voté pour ou contre des individus que pour les points contenus dans le texte.

Absence de consensus

Si les quinze points soumis au référendum avaient fait l’objet de discussions et donc d’un consensus, le « oui » aurait sans doute été plus fort. Pour ce référendum, les médias se sont contentés de relayer des invites au dialogue éparses en provenance de quelques tenants du pouvoir qui ne se sont jamais traduites de manière formelle. Du coup, les deux camps se sont regardés en chiens de faïence. Une ambiance assurément délétère et peu propice au dialogue.

Selon plusieurs observateurs, le plus grand enseignement à tirer de cet exercice citoyen, c’est que le peuple sénégalais est divisé.

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D’une part, le camp présidentiel qui l’emporte avec le « oui », et d’autre part une opposition et une belle frange de la société civile qui ont signalé leur présence avec le « non » . « Les délais pour organiser ce référendum étaient très courts. Un mois ne suffit pas pour créer un consensus autour de questions aussi importantes que celles proposées par la réforme », argumente Fatou Jagn Senghor, directrice bureau Afrique de l’Ouest de l’organisation pour la liberté d’expression Article 19.

Le bastion de la communauté mouride

La victoire du « non » dans des localités comme la ville sainte de Touba (région de Diourbel), qui est la capitale de la confrérie mouride et le troisième bastion électoral du Sénégal derrière Dakar et Thiès, n’est pas à négliger. La région compte 449 135 électeurs. Touba est une zone hautement stratégique et la perdre est un signal fort pour le régime en place, qui a pourtant déroulé une batterie de tentatives de séduction. La poursuite de la construction de l’autoroute qui doit rallier la ville sainte à la capitale du rail, Thiès, pour un montant de 418 milliards de francs CFA (637 millions d’euros), n’a pas empêché le régime de perdre le vote de la communauté religieuse mouride, la plus importante du Sénégal derrière les tidjanes.

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« Macky Sall a toujours du mal à trouver la bonne formule pour conquérir la ville de Touba, deuxième démographie du Sénégal. Malheureusement, l’un de ses responsables politiques dans la zone, Moustapha Cissé Lo, n’a su être en odeur de sainteté avec les familles religieuses qui l’ont apparemment sanctionné. La ville de Touba est toujours restée un bastion du Parti démocratique sénégalais (PDS), le parti d’Abdoulaye Wade. Macky Sall doit rectifier le tir avant les législatives de 2017 et la présidentielle de 2019 », analyse Aynina Diop enseignant à l’Université de Dakar.

Le dialogue s’impose

Le dialogue « avec les forces vives de la nation » est devenu plus qu’une nécessité pour l’avenir politique du pays comme l’a si bien rappelé hier le grand serigne de Dakar, dignitaire politique et social de la communauté lébou, ainsi que les organisations de la société civile comme Y’en a marre ou même des membres du camp au pouvoir. « Je souhaite que le président de la République appelle tous les acteurs politiques et de la société civile autour d’une table pour discuter des lois d’application des réformes, la concertation permettra aux acteurs de s’entendre. C’est ce que nous devons faire pour démontrer notre capacité à dépassionner le débat politique », a déclaré le grand serigne de Dakar à sa sortie hier du bureau de vote.

Le dialogue s’impose, sinon le pays risque de se retrouver dans une impasse, estime le journaliste analyste politique Georges Nesta Diop, pour qui la proportion du « non » est tellement importante qu’il serait préjudiciable au régime de l’ignorer : « Si on ne s’entend sur rien du tout, le pouvoir va dérouler son projet de société et l’opposition fera tout son possible pour dérouter ses actions. Dans ces conditions, il sera difficile de faire progresser le pays. »