Regard sur le nouveau dispositif de lutte contre la pauvreté énergétique en Afrique

Actualités | Lu pour vous

Fall-fonds«Energy is the golden thread that connects economic growth, increased social equity and a healthy environment. Sustainable development is not possible without sustainable energy.” (1)

Alors que les Objectifs du Millénaire pour le Développement(OMD) 2000-2015 avaient été déclinés en des termes très généraux, le Programme de Développement pour l’après 2015 a, quant à lui, fixé des objectifs sectoriels précis à atteindre afin d’éradiquer la pauvreté et promouvoir le développement durable. Il en est particulièrement ainsi du septième (7eme) Objectif du Programme qui vise à « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables, modernes et abordables ».

Pour le continent africain, la résolution de la question de la fourniture de services d’énergie électrique doit être au cœur de toutes les stratégies et politiques de développement, tant les conséquences économiques et sociales des délestages réguliers sont désastreuses aussi bien pour les populations que pour les entreprises. (2)

Selon le rapport de l’Agence des Etats Unis pour l’Aide au Développement (USAID), publié en 2014, il y a 1.2 milliard de personnes dans le monde vivant dans une pauvreté énergétique chronique dont la moitié vit en Afrique sub-saharienne, où le taux moyen d’accès à l’électricité est de 30%. (3)

Comme le rappelait, cette année, le Président de la Banque Africaine de Développement (BAD) au Forum Economique Mondial de Davos « plus de 645 millions d’africains n’ont pas accès à l’électricité, 700 millions sont privés d’énergie propre pour faire cuire les aliments et 600.000 meurent chaque année à cause de pollutions internes liées à l’usage de combustibles provenant de la biomasse pour faire la cuisine. » (4)

Ces dernières années, le Sénégal a traversé une crise énergétique sans précédent. En effet, malgré des sommes colossales investies par le gouvernement, le pays a enregistré, depuis l’année 2000, un déficit énergétique record qui s’est accentué pendant la période 2009-2010, en raison du ralentissement de l’économie mondiale et de la pression du prix du pétrole. Cette situation a engendré de nombreux délestages qui ont pu, parfois, durer jusqu’à une demi-journée et s’est traduite par une perte de croissance de 1.4% de PIB en 2010. (5) L’on se rappelle, à cet égard, les émeutes de l’électricité de juin 2011 causées par les délestages récurrents et intempestifs subis par les populations urbaines.

S’il faut saluer les efforts du gouvernement pour pallier ces difficultés par la mise en œuvre du Plan de Relance Intégré de l’Electricité, qui se trouve être un des piliers du Plan Sénégal Emergent (PSE), force est cependant de constater que les solutions à l’éradication de la pauvreté énergétique en Afrique sont à trouver dans des initiatives globales, au double plan régional (I) et international (II).

Conscientes de ce que l’énergie est le principal moteur de la transformation économique et sociale de la région, d’une part, et que plus de 60 % de la population ouest africaine n’ont pas accès à l’électricité, d’autre part, les communautés économiques régionales ont mis en place des programmes visant à harmoniser les politiques nationales dans le secteur de l’énergie. Ainsi, en 2008, l’Uemoa a développé l’Initiative Régionale pour l’Energie Durable (IRED) qui vise à atteindre, à l’horizon 2030, une énergie à bas prix au bénéfice des populations, au sein d’un marché d’échange de services d’électricité. Le développement de ce projet s’appuie sur des énergies propres, combinées (fossiles et renouvelables), conçues dans le cadre d’un partenariat public-privé.

La Cedeao a, quant à elle, initié le programme Energie Durable pour Tous-2030 dont les principaux objectifs sont (i) de doubler la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique global et (ii) doubler le taux global d’amélioration de l’efficacité énergétique. (6)

Au plan international, l’initiative Power Africa, lancée en 2013 par le Président Obama, a constitué un catalyseur en ce qu’elle a favorisé l’émergence d’autres initiatives africaines et internationales.

Fondée sur une étroite collaboration entre les Etats africains et les investisseurs privés ( comme Ekon Lighting Africa) , y compris les institutions de financement du développement, la société civile et les communautés locales, Power Africa ambitionne de développer et de maitriser les abondantes ressources énergétiques du continent, notamment , solaires, éoliennes, hydroélectrique ou celles tirées du gaz .  Pour financer ce développement des énergies en Afrique, la communauté internationale a mobilisé d’importants moyens financiers dont certains pays ont commencé à bénéficier.(7)

Ainsi, bien que son engagement au Sénégal soit très récent, Power Africa a permis, à travers un appui de Overseas Private Investment Corporation (OPIC) de 91 millions de dollars des Etats Unis de financer la prochaine réouverture de la centrale du Cap des Biches. (8) De même, le projet de construction d’une centrale d’énergie éolienne de 152 MW à Taiba Ndiaye, a bénéficié des fonds de préparation de projets de US-Africa Clean Energy Finance et de l’appui d’OPIC.

Dans le sillage de Power Africa, la BAD a développé deux nouvelles initiatives, à savoir le Nouveau Pacte pour l’Energie en Afrique et le Partenariat Transformatif sur l’Energie en Afrique. (9) Celles-ci visent à (i) augmenter la production du réseau par l’ajout de 160 GWH de nouvelles capacités d’ici à 2025, soit le double des capacités actuelles, (ii) augmenter le réseau et les connexions au réseau de transport pour créer 130 millions de nouvelles connexions d’ici à 2025, (iii) augmenter la production hors réseau pour y ajouter 75 millions de connexions d’ici à 2025, soit près de 20 fois plus qu’aujourd’hui et, enfin (iv) augmenter l’accès à l’énergie propre pour la préparation des repas dans environ 130 millions de foyers.

Sur les 90 milliards de dollars annuels nécessaires pour éradiquer la pauvreté énergétique en Afrique, la BAD s’est engagée à investir 12 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années et obtenu des autres acteurs financiers qu’ils investissent jusqu’à quatre fois cette somme. (10)

S’appuyant sur les nouveaux Objectifs de Développement Durable, la Banque Mondiale et les Nations Unies ont développé l’initiative Energie Durable pour Tous (SE4All) fondée sur un accès à une énergie à bon marché, durable et moderne.

Il est important de rappeler que , pour consolider le nouveau dispositif décrit ci-dessus, les gouvernements africains devront jouer pleinement leur rôle qui devrait se traduire par un accroissement des dépenses annuelles pour le secteur de l’énergie de 0,4 % à 3, 4% du PIB.

Toutefois, quels que soient les efforts financiers consentis, ce nouveau dispositif ne pourrait produire tous les effets escomptés s’il n’opère dans un cadre juridique et institutionnel transparent, destiné à réduire les risques et à sécuriser les investisseurs.

Le développement et le renforcement des capacités des Etats africains en matière négociation des clauses des contrats d’achat d’énergie sont également déterminants pour le succès du dispositif. A cet égard, il faut saluer l’initiative conjointe du Programme de Développement du Droit Commercial (CLDP) du Département du Commerce des Etats-Unis, de la Facilité Africaine de Soutien Juridique (ALSF), du Fonds de Conseil en Infrastructure Publique-Privée (PPIAF) et d’autres partenaires , de financer et de mettre à la disposition de toutes les parties prenantes un Guide pour les contrats d’achat d’électricité. (11)

Dans une lettre conjointe publiée à l’occasion du 2ème Powering Africa Summit, les Présidents des Etats Unis, de la BAD et de la Banque Mondiale ont réaffirmé les objectifs finaux du dispositif de lutte contre la pauvreté énergétique en Afrique , à savoir,(i) un engagement ferme en faveur d’un partenariat coordonné entre les différents acteurs du secteur, (ii) le doublement des capacités d’offres de services d’’électricité, en particulier, en Afrique sub-saharienne , (iii) la promotion du mix énergétique dans lequel les énergies renouvelables prendront une part de plus en plus importante, (iv) un l’accès à l’énergie électrique très abordable, notamment, pour les populations des zones rurales.

Fournir 30.000 mégawatts (MW) et 60millions de connexions supplémentaires en Afrique sub-saharienne, d’ici à 2030, est un projet ambitieux, mais nécessaire. (12)

L’Afrique relèvera-t-elle ce défi ?

Aboubacar FALL, Avocat, Ancien Conseiller juridique du Groupe de la BAD
a.fall@gsklaw.sn

Source : http://www.financialafrik.com